Cher Connard est un livre de Virginie Despentes, sorti en 2022 aux éditions Grasset. L’ouvrage rapporte une conversation en (longs) messages numériques entre un « vieil » auteur cible d’une révélation #metoo et une « vieille » actrice qui s’étaient connus enfants.
Tiens, on n’a pas l’habitude de lire une correspondance aussi contemporaine. C’est presque forcé mais on dirait que Virginie Despentes s’adresse en personne aux -Pro et aux -Anti, comme s’ils étaient les deux faces d’une même pièce. Les thèmes abordés sont variés et contemporains (#MeToo, le chemsex, le Covid) et à la fois intemporels (épidémies, drogues et agressions sexuelles font partie de notre histoire depuis l’aube des temps).
Si les missives courent parfois sur 10 pages, elles ne sont pas pour autant indigestes, et le recul dont font preuve les deux principaux intéressés laisse rêveur. Combien de séances de psy sont nécessaires pour arriver à ce niveau d’analyse de soi-même dans la vraie vie ? Pour autant, les personnages jouissent d’un certain âge, la cinquantaine peut aisément être l’heure des bilans, loin d’une certaine idée de la jeunesse telle que brandée par la publicité. Cinquante ans à notre époque, de notre côté du globe, c’est se frotter à pas mal de changements sociétaux et à de nouveaux modes de communication qui sont rarement aussi vertueux qu’une discussion en face-à-face au calme.
Grosses patates verbales
L’écriture est brute mais imagée, le tout se lit avec une facilité confondante et fait presque oublier son smartphone l’espace de quelques heures. Le format épistolaire permet aussi de s’affranchir du chapitrage classique et permet de faire plein de pauses (petites ou grandes) au cours du récit. Ce qui finalement laisse le temps de digérer ce qui s’y lit. Comme les deux personnages s’écrivent via Internet, à l’abri derrière leur écran, ils osent s’envoyer des grosses patates verbales. On aime ou pas, mais ça a du style.
Le livre ne se pose pas en guide de consommation à moindres risques, cependant il oppose deux visions assez différentes des consommateurs de drogues (blancs et bourgeois, par contre) que sont celui qui veut être sobre et celui qui n’aime que les moments de défonce (ou presque). Les protagonistes profitent d’un recul et d’une distanciation et sont à l’écoute des remarques et observations de l’autre. Ce qui permet aux deux personnages d’avoir un discours distancié et dépassionné de leurs consommations. Bien sûr, il y a l’esbroufe, les bons moments, les mauvais moments qui s’enchaînent et se relaient à travers leurs lettres. L’espace que prend la question de l’usage de drogue dans le récit est assez inattendu, alors que la quatrième de couverture ne le présageait pas.
Le livre offre une grille de lecture intéressante que le grand public devrait plutôt garder en tête au lieu de répéter des vérités et contre-vérités toutes faites, et estimer que l’usage de drogues illicites te catapulte dans le domaine des moins que rien. On a passé un bon moment, on vous le conseille !