
Après dix ans de carrière à capitaliser sur son amour des drogues, de l’autodestruction et des milieux interlopes, Johann Zarca fait sa profession de foi et livre son meilleur opus. Texte travaillé, multiplication des points de vue et intrigue resserrée sont au service de cette histoire qui montre le quotidien de dépendant·es abstinent·es.
Soyons clairs, en lisant la quatrième de couverture, on y allait à reculons. En fait, on a bien aimé le livre. Pour une fois, le narrateur principal n’a pas de place centrale dans l’histoire, Zarca se contentant de croiser ses personnages entre salles d’attente et groupes de parole.
Clean, c’est l’histoire croisée de plusieurs personnages – abstinent·es ou essayant de l’être – qui gravitent autour des mêmes centres de santé. Sonia, qui vient de terminer un sevrage à l’hôpital Marmottan, est dans la merde car elle a piqué plusieurs milliers d’euros à son ex qui deale, Yanis. Sébastien est un gars paumé addict à tout et in love de Sonia ; son frère (Jules), lui, est abstinent et bosse dans une communauté thérapeutique. Il y a aussi Lucy, la thérapeute ex-héroïnomane, qui pleure son fils disparu depuis plusieurs années et Aymeric, le futur papa, qui angoisse à mort de la naissance à venir. Et enfin Redouane, le bagarreur ancien voyou et actuel agent de sécurité, accro à la violence et à l’adrénaline.
Saoulée, Sonia se barre du centre de soins. Seb la recherche car il est in-love, Yanis retrouve sa trace. Entre deux galères, Aymeric retourne aux Narcotiques anonymes (NA) car ses angoisses prénatales lui donnent envie de dérailler. Redouane cède à la tentation d’un petit braquo sans conséquences. Lucy, Jules et Redouane se supportent et s’entraident pour tenir bon face à l’adversité, aux galères et aux tentations.
Tout ce petit monde tourne autour des mêmes points de deals, fréquente les mêmes lieux et subit de plein fouet l’expression de dépendances profondes. Les personnages se débattent avec des soucis d’alimentation, d’adrénaline et de violence, loin de s’arrêter aux tristement célèbres crack et héroïne
Que le livre nous plaise n’était pas une mince affaire, tant on avait été saoulé par Chems et son approche sensationnaliste du chemsex. Mais force est de constater que Clean est bien plus nuancé et, mine de rien, offre la perspective sobre d’une personne qui aime consommer des drogues. Cela n’a pas de prix quand on écrit sur ces thématiques.
La narration se fait par l’extérieur et n’omet jamais de nous expliquer ce que ressentent les personnages dans les moments où ils vacillent. Mais si l’auteur livre une série de portraits sensibles et pas trop sensationnalistes, il ne faut pas non plus le prendre au pied de la lettre, puisqu’il s’agit d’une œuvre de fiction écrite par quelqu’un de concerné.
Autre soulagement : l’abandon de l’argot à toutes les sauces, un style un peu plus épuré pour une histoire qui gagne en lisibilité (et en vocabulaire).
Mais un regret cependant : qu’aucun des personnages n’ait réussi à maîtriser sa consommation sans être 100% abstinent. Tenter le décrochage total quand rien ne va dans sa vie, c’est mission impossible et c’est la porte ouverte à l’autoroute de l’auto-culpabilisation. C’est d’ailleurs dans ces situations que se retrouvent Sonia et Seb. Le problème des gens qui se droguent et qui sont à la rue, c’est D’ABORD d’être à la rue. Et en permettant à ses personnages les plus précaires de passer du temps dans un espace sécurisé où ils ne risquent ni le vol ni le viol, cette alternance rue/domicile est un des leviers qui fait avancer l’histoire.
Quant à l’absence de personnages aux consommations raisonnables, elle fait écho au parcours de Johann Zarca, tel qu’il l’a raconté pendant la promo du livre : face caméra, il explique qu’il entretenait une relation toxique avec les drogues et que celles-ci allaient le conduire à la mort.
Clean est un roman de Johann Zarca publié en 2025 aux éditions Goutte d’Or, il fait 320 pages pour 58 chapitres et se monnaie 21 €.