Quand des inconnues « traînent » des hommes célèbres en justice pour des accusations de violences sexuelles, il n’est pas rare d’entendre dans les médias qu’elles sont alléchées par l’appât du gain à venir. Devenir riche après avoir fait condamner un homme célèbre, ce n’est pas une évidence. Virginie Cresci a consacré un ouvrage de 200 pages à la question. Analyse d’un livre nécessaire.
Deux grands fantasmes entourent les violences sexuelles, par fantasmes on entend « idées tenaces avec lesquelles une majorité dominante tente de décrédibiliser les plaignant·es par voie de presse, de tv ou de radio ». Ces deux idées sont « elles font ça pour l’argent » ainsi que « les pauvres accusés ont leur vie brisée ». Ces deux phrases sont fausses, et à l’heure où Trump est réelu à la présidence des USA (avec des verdicts de culpabilité d’agression sexuelle) et où les accusés du procès Pelicot sont pépouzes, c’est vraiment faire un déni de réalité que de soutenir le contraire. Bref.
Virginie Cresci a fait ce qu’on appelle une enquête qualitative. Elle s’est intéressée aux parcours et expériences de personnes concernées à travers de longs entretiens et rapporte leurs paroles en étayant ses propos avec des chiffres et inversement. On parle souvent du trauma quand on parle des violences sexuelles, avec l’idée persistante qu’on ne se remet jamais de ce genre de blessure. L’impact de ces violences est à la fois physique et psychologique ainsi qu’économique comme l’explique par « A + B » ce court essai dédié à cette question. Un livre rapide à lire, dûment sourcé et documenté, qui donne des billes pour faire fermer leur claque-merde à celles et ceux qui moquent les victimes qui osent ouvrir leur gueules !
Le livre s’ouvre sur la préface du juge Édouard Durand, spécialiste de la protection de l’enfance, des violences conjugales et des violences faites aux enfants. Le monsieur a coprésidé la Civiise – Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants pendant trois ans, avant de remettre un rapport de 82 recommandations pour lutter contre ces 3 pestes. Il a été démis de ses fonctions en 2023. Il a publié un court texte dans la collection Les Tracts de la maison d’édition Gallimard, intitulé « 160 000 Enfants. Violences sexuelles et déni social » qu’on vous conseille de lire et de faire lire.
Passés la préface, l’avant-propos et l’introduction, le livre se compose de trois grosses parties :
- Se soigner mais à quel prix ?
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- Cette partie-là pose la question du coût des démarches entamées par les victimes. Qu’il s’agisse de soin physique (examens, prise en charge IST, gynéco, etc.) ou psychique (recours à des thérapeutes psychologues, psychiatres) ou encore du passage par des thérapies innovantes moins pratiquées et plus chères (TCC, EMDR) pour lutter contre les conséquences du psyhotrauma. Un coût entièrement assumé par les victimes qui doivent lutter pour avoir un parcours de soin qui tient la route dans une France où l’offre en santé mentale est misérable et où les déserts médicaux sont de plus nombreux et étendus.
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- Demander justice : une montagne financière
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- Cette partie–là aborde le cas particulier des personnes qui osent porter plainte et doivent trouver avocats et experts ainsi que débourser parfois d’importants frais de déplacements et dépassements d’honoraires (allant jusqu’à devoir payer le billet de train des accusés et des avocats). En gardant bien en tête qu’une fois le coupable reconnu coupable (ce qui est rarement le cas dans la vraie vie), c’est rare d’obtenir une quelconque réparation financière. Dans cette partie, on regarde aussi ce qui se fait en la matière chez nos voisins européens et outre-Atlantique.
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- La face cachée des violences sexuelles
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- Ici, on parle des coûts moins évidents. Perte de productivité, arrêts maladie, période de chômage, interruption des études, déménagement, etc. Toutes ces choses qu’on n’aurait pas pensé à prendre en compte mais que l’autrice rajoute dans son calcul. C’est inattendu et pourtant clair comme de l’eau de roche.
Virginie Cresci le dit mot pour mot : dans les violences sexuelles, la victime paie un lourd tribu mais à l’échelle de notre société, c’est un coût qu’on paie tous et toutes pour le compte des agresseurs. Édifiant, révoltant, et tristement commun.
Si vous souhaitez en feuilleter quelques pages, Google Books met à disposition cet aperçu :
En conclusion, le livre raconte des expériences mais donne aussi des chiffres. Ces chiffres sont des estimations qui sont largement sous-évaluées, mais le constat est le même qu’à chaque fois : pour avoir une meilleure appréciation de ce problème, il faut dédier des équipes et du temps (donc du budget) pour démêler les fils et essayer de comprendre. C’est un peu ce qui avait été fait avec la Civiise. C’est a priori pas demain la veille qu’on y sera. En attendant, faisons communauté, parlons nous les uns les autres, travaillons nos capacités d’écoute et acceptons que nous faisons tous et toutes partie du problème à notre niveau. C’est le seul moyen pour une prise de conscience globale.
« Le prix des larmes, le coût caché des violences sexuelles » est un livre écrit par Virginie Cresci. 211 pages, publié aux éditions Grasset en 2024.