Les feuilles mortes film Aki Kaurismäki
Extrait des Feilles mortes de Aki Kaurismäki (2023)

Les feuilles mortes – Solitude et rencontre amoureuse

Publié le 24 janvier 2024 par Lisa

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Cet article parle de : #alcool #culture #films

Les feuilles mortes est un film finlandais de 81 minutes, réalisé par Aki Kaurismäki et sorti en 2023 au cinéma.

Le film raconte l’histoire de deux personnages, dans des galères de boulots mal considérés et mal rémunérés, qui se rencontrent et vont développer une relation amicalo-romantique. 

Les décors sont tellement bien travaillés qu’on ne peut que souligner la démarche. Des nuances de couleurs froides, bleu pâle, gris, avec lesquelles tranchent de temps à autre des rouges/oranges vifs qui se répètent de scène en scène ; entre austérité et énergie. Les personnages sont à cette image (ou l’inverse). Ils évoluent dans un milieu ouvrier, de « petits employés » et leurs vies, entre galères d’appart, de thunes, de reconnaissance sociale, sont pas mal dépeintes comme misérables dans les critiques qu’on a pu lire. Certes, en un sens. Nous, on trouve qu’une certaine force vitale existe, les personnages ont des liens amicaux solides et surtout : iels sont élégant.es et très drôles !

Iels n’esquisseront pourtant un sourire que dans les dernières minutes du film… Les consommations d’alcool de l’un des personnages principaux sont une donnée importante. Ancrées dans le quotidien, « boire un verre à la sortie du boulot » est essentiel pour la détente, un rempart à l’oisiveté et un facilitateur dans les liens amicaux. Dans le travail et dans ce couple qui se forme petit à petit, c’est un problème. Cette thématique est peu abordée par la critique bien que, à notre sens, centrale. Elle soulève des questions. Comment cette substance, socialement admise, voire valorisée, peut, dans certains cas, ostraciser ? Où est la limite ? Qui la fixe ? Pour qui ? Quelles en sont les conséquences ? Quelle est l’histoire de l’alcool dans les mondes ouvriers, dans les pays du nord de l’Europe ? Quelle est l’histoire des femmes dont les maris/pères boivent/buvaient ? (Quid des origines de la prohibition aux États-Unis… On s’éloigne un peu mais quand même, ce pourrait être des sujets sous-jacents…).

Pas vraiment RdR

Niveau RdR, c’est bof. La seule issue à la consommation d’alcool du personnage masculin est son arrêt (total et définitif). Sans ça, l’histoire d’amour ne peut réellement commencer et se poursuivre. Le personnage féminin apparaît, lui, comme légitime dans sa demande : son histoire familiale est marquée par des décès et des vies brisées en lien avec l’alcool. Il y un rapport assez manichéen aux choses (tu sais boire ou tu ne bois pas) et, en ce sens, on ne peut pas vraiment parler de RdR. Cependant, on aborde aussi la question du « Drug, Set, and Setting ». L’impact du contexte, de sa vie, dans le passage d’une consommation récréative à une consommation abusive ou à la dépendance. Et, du coup, toujours l’impact de ce contexte, des liens dans ce quotidien, dans la possible modification de sa consommation… (cf. : la cage aux rats). Le personnage trouve avec l’amour la force d’arrêter de consommer de l’alcool, dont finalement il a moins « besoin ». Bon… il reste un petit fond de « la bouteille = sa femme », un peu dérangeant mais pas complètement faux finalement si on va un peu plus loin dans le raisonnement. 

Le contexte est à questionner particulièrement : en dépit d’une direction artistique soignée et à la fois vieillotte et intemporelle, le récit s’inscrit en 20222023. En effet, Ansa et son transistor radio vivent une relation toxique avec les rappels incessant de la guerre en Ukraine qui l’assomment quotidiennement. Ansa perd son job du magasin où elle travaille pour avoir récupéré des invendus périmés. Elle était employée par l’enseigne sous contrat « zéro heure », dont la caractéristique principale est que l’employeur ne mentionne dans le contrat aucune indication d’horaires ou de durée minimum de travail. Le salarié est rémunéré uniquement pour les heures travaillées, et doit pouvoir se rendre disponible à n’importe quel moment de la journée. Insécurité financière, précarisation de la vie des classes laborieuses. C’est étonnant qu’elle non plus ne soit pas portée sur la bouteille. Il n’y a pas de mystère puisqu’elle explique à Hoppala que plusieurs personnes de sa famille sont mortes à cause de l’alcool.

Hoppala, quant à lui, vit dans un foyer de travailleurs, une chambre dortoir partagée avec plusieurs autres hommes du même âge, proche de l’usine dans laquelle il travaille. Quand logement et emploi sont si intimement liés, c’est les deux que l’on perd si l’on est renvoyé de son lieu d’exercice. C’est d’ailleurs ce qui lui arrive quand on découvre qu’il boit pendant ses heures de travail. Solitude, hausse du coût de la vie, pudeur exagérée, isolement émotionnel et social, perte d’emploi ou emploi ultra précaire forment un terreau très fertile dans lequel les graines de l’addiction poussent bien si on les y plante. 

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