Skins Party, un roman graphique de Timothée Leboucher sorti en 2011 aux éditions Manolosanctis dans la collection « Gomorrhe ». On suit une soirée au Gibbon (bar club et discothèque perdu dans la cambrousse), à travers les expériences croisées de Ève, Alexandre, Marion, Bastien et quelques autres adolescents portés sur l’excès.
L’histoire est plutôt captivante et se suit avec plaisir malgré l’extrême horreur des faits (gravissimes) qui sont racontés par l’auteur. Et ce, dès le chapitre introductif qui ne ménage ni son lecteur ni ses personnages et annonce la couleur du reste de ce court album. La lecture est d’ailleurs très rapide, mais la lourdeur de ce qui est montré pousse à faire quelques pauses pour respirer.
TW : à peu près toutes les formes de violences physiques, sexuelles, sexistes et morales. Âmes sensibles ou personnes ayant vécu des faits similaires, soyez prévenues.
On apprécie le parti pris de la mise en scène. Les différents épisodes s’attardent sur les points de vue des différents personnages presque au même moment. En tout cas, dans la même soirée, de façon non linéaire, quelque part entre Pulp Fiction et Memento.
Les pires vicissitudes du genre humain
Des figurants d’arrière-plan deviennent personnages principaux et des questions soulevées çà et là trouvent des réponses au fur et à mesure. À ce titre, le lecteur a beaucoup plus de clés que les personnages qui souffrent malheureusement des pires vicissitudes du genre humain. Tous carburent aux ressentiments, à la honte, aux drogues et aux hormones en folie pour des résultats allant du sordide au complètement nauséabond. À un moment, il est question d’une arme à feu. On a trouvé qu’elle arrivait comme un cheveu sur la soupe, l’action se déroulant en France, trouver une arme de poing dans l’armoire familiale nous a semblé un peu facile et déconnecté du reste du récit.
Le plus gros problème de l’album, finalement, c’est peut-être son titre. En effet, si toute une génération n’a pas pu être épargnée par la série anglaise Skins, véritable phénomène diffusé entre 2007 et 2013 qui mettait en scène de spectaculaires soirées nihilistes et no limit, aujourd’hui, le titre n’a plus rien d’évident et fait un peu vieillot. Puis finalement, ça n’a pas grand rapport avec la série à part la fête. Si cette dernière était assez (très) cruelle avec ses personnages, ils disposaient globalement de plus de temps d’exposition.
Les couleurs sont vraiment belles lorsque les personnages usent ou abusent de psychédéliques. Les bad trips sont à ce titre très jolis (lol). Nul doute qu’avec les moyens et de bons acteurs, cela ferait un film assez chouette à voir.
Pas l’ombre d’un principe de réduction des risques
Alors est-ce qu’on y retrouve une démarche de réduction des risques ? Non évidemment, il n’y a pas l’ombre d’un principe de précaution ou de réduction des risques qui transparaît entre les pages. Et comme nous sommes convaincus qu’une information objective et claire permet de réduire les risques et les comportements à risques, le livre fait office de cas d’école en ce qui concerne l’utilité de secours, de gens à la tête froide et de personnes formées à la réduction des risques, la prévention et la santé dans les lieux festifs.
D’ailleurs, fait assez marquant pour être souligné : les personnages que l’on suit ne consomment pas sciemment leurs drogues. À part l’alcool bien sûr, les autres prises de drogues sont soit accidentelles, soit malveillantes. Aucune ne conduit à un état de bonheur ou d’euphorie. Même s’il est évident que certains fêtards et fêtardes prennent leur pied, le récit n’en a cure et ne se préoccupe pas d’eux. Le drame pour le drame. C’est un parti pris. À l’époque de la sortie du livre, l’auteur a 22 ans et la série bat encore son plein (elle s’éteindra trois ans plus tard).
Qu’est-ce que ça dit sur les représentations de la jeunesse ? Est-ce qu’avoir 22 ans, c’est pas déjà trop vieux pour faire vivre tant d’excès à des personnages pas encore majeurs ? Est-ce un transfert des « loisirs » d’adultes sur une jeunesse dépassée ? Est-ce que c’est un portrait fidèle à une forme de réalité ? La question se pose, tant il a été dit de la série qu’elle était réaliste, et tant les critiques du livre prennent pour argent comptant les aventures des personnages.