Quand l’ennui et la tristesse inexpliquée et incontrôlable causent la perte de 5 sœurs.
Dans une banlieue pavillonnaire américaine d’il y a 25 ans vivent les sœurs Lisbon. Un jour, la plus jeune d’entre elles tente de mettre fin à ses jours en se taillant les veines dans sa baignoire. Dès lors, les garçons du quartier vont les scruter afin de s’approcher d’elles, de les comprendre, de les aimer et de les sauver. Seulement, Cecilia, Lux, Bonnie, Mary et Therese meurent toutes les cinq avant la fin du film.
Les narrateurs, les garçons du quartier en voix off du film, expliquent donc combien ces jeunes filles représentaient un mystère étourdissant et combien elles ont marqué leur vie. Le premier film de Sofia Coppola (accompagné de la bande–son des Français de Air) illustre cette lente plongée vers la mort dans ce qui deviendra LE style de la réalisatrice. Des parents pieux, une curiosité inassouvie, beaucoup de freins mis aux tourments de l’adolescence de ces filles de 13 à 17 ans et finalement aucune explication valable sur leur geste.
On a choisi de parler de cette œuvre qui peut paraître éloignée de nos thématiques de base car elle parle d’une période charnière de la vie où, c’est renseigné par la littérature scientifique, l’impulsivité est au maximum et le risque de passage à l’acte suicidaire important. C’est aussi une période de rupture avec l’enfance, avec le cercle familial, avec les études. Et une période qui fait des individus des cibles privilégiées pour les accidents de la route (les 18–24 ans sont les plus blessés sur la route et la deuxième tranche d’âge après les seniors pour les accidents mortels), les agressions sexuelles, les violences intrafamiliales et le harcèlement scolaire. C’est également un âge où l’esprit critique n’est pas encore totalement forgé, et où l’on est surexposé aux médias et aux réseaux sociaux, terrain privilégié du cyber harcèlement. C’est un âge de vulnérabilité où il convient de ne pas être trop dur avec soi ou avec les autres. L’adolescence est une période aux contours flous qui s’affranchit de la notion de majorité.
Le destin des sœurs Lisbon aurait-il été différent si l’époque avait été différente ? S’agissant de personnages de fiction que l’auteur avait décidé de tuer, on peut considérer que non. Car avant d’être un film, Virgin Suicides est un très bon livre.
Un âge de vulnérabilité
Le livre offre plus de temps à son récit, et surtout aux véritables personnages principaux : les garçons du voisinage. Ce sont eux qui déroulent le récit vingt ans plus tard, en consultant les reliques et pièces à conviction qu’ils ont eu le temps de rassembler à l’époque des faits. Une enquête menée sur deux décennies avec pléthore de personnes interrogées (des amis, des amants, des voisins, les parents, etc.). L’effort fait par ces gars pour percer le mystère qui les obsède laisse songeur. On pourrait dire que c’est un délire obsessionnel mais sans ça, il n’y aurait pas de livre.
Le livre est découpé en cinq chapitres particulièrement inégaux en taille, et si la cadette décède à la fin du premier chapitre, la grosse nuit décrite par le film se déroule à la fin du quatrième. L’auteur laisse la part aux nombreuses suppositions faites par les garçons qui observent la maison de la famille Lisbon. Après la nuit du bal de promo, les filles sont consignées à l’intérieur comme dans le film. Mais ce qui n’est pas montré dans le film, c’est que la famille, les parents et la maison se délitent à l’abri des regards. Que tout fane, disparaît et se craquelle à l’abri des regards. En autarcie complète. À la fin du troisieme chapitre, les filles n’apparaissent quasiment plus dans l’intrigue avant de se tuer. Il n’y a pas de psychologie de comptoir, pas d’explications finales qui permettraient de lever le voile. Le mystère est entier pour le lecteur et pour les garçons.
Retentissement
Le livre est sorti au tout début des années 1990. L’intrigue se déroule vingt-cinq ans avant, dans les années 1970, qui marquent une période particulière pour l’adolescence (nous en parlions déjà dans notre chronique de « L’herbe bleue ») pour plusieurs raisons : double choc pétrolier, révolution sexuelle, prohibition des drogues, nombreuses guerres (notamment celle du Vietnam qui finira au milieu de la décennie), abolition récente de la ségrégation raciale (1965), apparition de nouvelles cultures (rock’n’roll, jeux vidéos, reggae), lutte pour les droit sociaux, etc.
D’ailleurs, les sœurs Lisbon, malgré une vie courte et recluse, s’intéressent à la biodiversité, critiquent l’appétit de la race humaine et vivent des invasions de mouches et la mort des arbres de leur quartier. Peut-être des détails mais qui, mis bout à bout, forment un tout étouffant et contraignant.
En décrivant en filigrane le quotidien d’une époque (particulièrement privilégiée car le lotissement dans lequel prend place l’histoire ne souffre pas de la pauvreté), l’histoire gagne en profondeur. Là où le film ressemble à une bande démo pour Kirsten Dunst. Le retenstissement du suicide des sœurs Lisbon dans la communauté est d’ailleurs largement renseigné par le livre, via les paroles échangées par le voisinage, les ragots colportés à l’école, et les allers et venues des journalistes.
Si le film ne vous a pas rebuté, et si vous avez le temps de lire 250 pages, on vous conseille vivement de vous pencher sur le livre Virgin Suicides (qui n’est pas adapté d’un fait divers réel malgré ce qu’on peut lire çà et là), qui approfondit et enrichit l’histoire malheureuse de la famille Lisbon racontée par Sofia Coppola.
Pour approfondir :
Ici, un blabla psycho pas hyper convaincant mais qui offre une grille de lecture.
Ici un article sur les hauts taux de suicides des jeunes des USA.