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©️ Photo de Nastya Dulhiier pour Unsplash

De l’ordonnance à la dépendance : le glissement silencieux des anxiolytiques

Publié le 10 novembre 2025 par Clarisse

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Cet article parle de : #drogues-illegales #drogues-legales #medicaments #addiction

Xanax®, Lexomil®, Seresta®… Tu déjà vu ces médicaments dans l’armoire à pharmacie de tes parents, ton·ta médecin t’en a déjà prescrit quand tu étais un peu angoissé·e, ton·ta meilleur·e pote t’en a proposé un pendant une soirée juste « pour se défoncer », ou tu en prends parfois pour dormir après une soirée full consos ? Eh bien tu es loin d’être un cas isolé. D’après l’Agence nationale de sécurité du médicament, la France est, en Europe, le deuxième pays le plus consommateur de benzodiazépines après l’Espagne. En 2024, ce sont plus de 9 millions de Français·es qui ont été traité·es par une benzodiazépine. Neuf millions de personnes avec une ordonnance, c’est donc sans compter toutes celles qui s’automédiquent ou qui consomment des benzos dans un contexte festif, récréatif ou tout autre cadre de mésusage, c’est-à-dire une utilisation intentionnelle et inappropriée d’un médicament. 

Mais c’est quoi exactement, les benzos ? Communément appelées « anxiolytiques », elles sont un type de médicaments psychotropes agissant sur le système nerveux central. Selon le type de molécule, elles peuvent provoquer des sensations de calme, d’apaisement, voire de somnolence ou d’endormissement. Elles sont très souvent utilisées dans le traitement de l’anxiété, de l’insomnie, des crises de panique ou encore comme décontractants musculaires ou pour traiter l’épilepsie.
Et elles font aussi partie des molécules qui font le plus souvent l’objet d’un mésusage et pour lesquelles un glissement d’un usage thérapeutique vers un usage non thérapeutique ou une dépendance peut très vite arriver. 

« On rentre vite dans un cercle vicieux »

So (*) a 21 ans, il y a quelque temps, alors qu’elle souffre de troubles de santé mentale, et notamment de gros problèmes d’anxiété, elle prend rendez-vous chez un médecin pour en parler. « Le médecin était plutôt un monsieur à l’ancienne, qui m’a sans hésiter fait une ordonnance de Xanax® », raconte-t-elle. D’une utilisation symptomatique, pour calmer ses angoisses, elle glisse alors rapidement vers un usage « récréatif ». « Un jour j’ai essayé d’en prendre plus, juste pour voir. Je savais que certains l’utilisaient pour se défoncer, alors j’ai testé de plus en plus, j’augmentais les doses de plus en plus et ma tolérance, ainsi que ma connaissance de mes réactions sous Xanax®, a rapidement augmenté, me faisant encore plus augmenter les doses. Après ça, on rentre vite dans un cercle vicieux », relate-t-elle.

Un cachet pour se calmer, un pour se défoncer, un pour éviter le craving, puis de nouveau un pour se calmer… Ce « cercle vicieux » est décrit par beaucoup de consommateurices de benzos, qui finissent par éprouver des difficultés à s’en passer. « Les benzos ont un risque addictif beaucoup plus important que d’autres médicaments considérés comme des anxios. Elles comportent également des risques de chute, des syndromes de sevrage plus importants, des effets sur la mémoire au long cours et beaucoup de risques de mésusage. Si je peux, j’évite d’en prescrire », explique Hélène Laroche, médecin infectiologue, spécialiste de la prise en charge du VIH et des hépatites, qui travaille régulièrement avec le public chemsexeur. Pourtant, « la question des benzos est une question compliquée car ce sont des médicaments très banalisés et que les gens se procurent très facilement, notamment en réussissant à obtenir des ordonnances sans vrai suivi. J’ai l’impression que les gens ne perçoivent pas tous les risques liés à l’usage de benzos », explique-t-elle. 

Des benzos pour amortir la descente

Des risques dont Justine (*) n’était, en effet, pas consciente, faute d’information et de prévention adéquate sur le sujet. Quand elle commence à consommer des benzos pour amoindrir ses descentes, elle ne se doute pas des conséquences. « Au départ, les anxiolytiques, c’était juste pour calmer mes crises d’angoisse. J’étais en pleine dépression, je me sentais déjà vide, raconte-t-elle. Et puis un jour, j’ai touché à la coke. Là, tout est parti en vrille. Après une nuit entière à sniffer, j’étais incapable de supporter la descente. Mon cœur battait trop vite, je tremblais, j’avais l’impression que la panique allait me tuer. Alors je prenais un comprimé. Puis un deuxième. Ça me calmait juste assez pour réussir à fermer les yeux et oublier que j’existais. »

L’anxiolytique en descente, c’est un grand classique. Selon les données du Réseau de prévention des addictions (Respadd), c’est même parfois la porte d’entrée de la dépendance aux benzodiazépines. Leur consommation peut ainsi glisser vers des prises plus régulières, en semaine, pour gérer l’anxiété ou l’insomnie, autrement dit en dehors des contextes festifs/récréatifs. 

En cas de polyconsommation, les benzos comportent en outre de nombreux risques. Dépresseurs du système nerveux central, leurs effets sont potentialisés en association avec d’autres dépresseurs (alcool, kétamine, cannabis, etc.) et peuvent générer de nombreux risques allant jusqu’à la dépression respiratoire

« Ça m’aidait à bien gérer les
cravings »

Depuis quelque temps, on observe aussi un mésusage de benzos pour se sevrer d’autres produits. Leur effet anxiolytique peut, en effet, aider à supporter les cravings et, faute d’aide extérieure, elles semblent parfois salutaires quand la tentative d’arrêt d’un produit est très difficile. 

« Je répétais souvent que le Xanax® était un moyen pour moi de ne pas exploser un mur à cause du craving », illustre So. Il y a deux ans, alors qu’elle est fortement dépendante aux cathinones, elle commence à se servir du Xanax® pour calmer ses envies de consommer. « Ça me servait à calmer l’envie de taper toute la nuit, déjà que je tapais toute la journée, pour éviter que mon père avec qui je vivais à ce moment-là ne comprenne. La vie c’était cathinones la journée, Xanax® la nuit. Alors forcément, quand j’ai essayé de me sevrer, je me suis dit que le Xanax® était le candidat idéal pour m’aider. Surtout que j’en avais une tonne chez moi. » Cela l’aide à calmer son anxiété, son irritabilité, son malêtre, et surtout selon elle, à ne pas acheter de cathinones « sur un coup de tête ». « Ça m’aidait bien à gérer les cravings, je ne peux pas nier, mais surtout parce que je me défonçais très fort. Ça paraît plus simple de gérer un sevrage quand on oublie des heures et des heures de craving… »

Parce qu’un sevrage peut sembler insurmontable, et constitue, souvent, un travail de longue haleine et très bouleversant, les anxiolytiques et leurs apparentes vertus apaisantes et de déconnexion peuvent apparaître comme un refuge. Mais lorsqu’ils prennent une place presque aussi grande que le produit dont on tente de se sevrer, c’est bien souvent qu’un glissement d’une addiction à une autre s’est opéré. 

« Même à des doses très très élevées, c’était jamais assez »

« Le problème, c’est que même à des doses très très élevées, c’était jamais assez. J’en voulais toujours plus, être encore plus défoncée, continuer d’en prendre. J’étais très souvent complètement dans un re-drop compulsif. Je les avalais comme des bonbons et malgré tout, j’en voulais toujours plus », confie So.
Pour Justine, le problème est le même. Quand elle décide de ralentir ses consos, elle se rend compte qu’elle ne peut plus se passer des anxiolytiques. « Si je ne prenais pas mes trois Xanax® par jour, je sombrais dans des crises de panique si violentes que je croyais devenir folle. C’était un enfer : un trou noir qui m’aspirait encore plus profond chaque fois que j’essayais de m’en sortir. » 

Comme pour toute addiction, le chemin pour en sortir peut s’avérer long et sinueux. Si So et Justine en ont parcouru une bonne partie, elles confient toutes les deux avoir toujours des anxiolytiques dans leur sac. « J’ai toujours mon Xanax® sur moi. Parce qu’au fond, j’ai encore peur de ce qui se passe quand je n’ai plus rien pour m’anesthésier », raconte Justine. « J’en ai toujours au cas où, ils me rassurent », renchérit So.

Parce que ce sont des médicaments légaux, il peut parfois être difficile de reconnaître une addiction et donc de demander de l’aide. Pourtant, il ne faut pas hésiter à se tourner vers des professionnel·les de santé ou vers des associations de RdR. So se veut ainsi rassurante : « Étape par étape, petits pas par petits pas, on arrive à créer notre chemin. » 

(*) Les prénoms ont été modifiés

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