Des Labos aux Dancefloors : la folle histoire du G
Photomontage : Romain Giraud d'après National Cancer Institute et Astrid Greif

Des Labos aux Dancefloors : la folle histoire du G

Le GHB et le GBL, deux substances au parcours surprenant de la recherche médicale aux soirées branchées, ont émergé comme des sujets de préoccupation en raison de leur utilisation détournée. Malgré les restrictions imposées, elles continuent de circuler sur le marché clandestin, soulevant des inquiétudes en matière de santé publique. Comprendre les nuances entre le GHB et le GBL, ainsi que leurs effets et risques associés, devient crucial pour promouvoir une consommation responsable et éclairer le grand public. On vous dit tout !

Remontons dans le temps jusqu’à l’année 1874, lorsque le chimiste russe Aleksandr Mikhaïlovitch Zaïtsev synthétise pour la première fois le GHB. Cependant aucune utilisation réelle ne découle de cette découverte et ce n’est qu’au cours des années 1960 que son potentiel commence à éveiller l’intérêt, grâce aux travaux novateurs du chirurgien et neurobiologiste Henri Laborit. Ce dernier s’intéresse alors de près à l’acide gamma-amino-butyrique (GABA), un neurotransmetteur présent dans le cerveau des mammifères, reconnu pour son influence inhibitrice sur l’activité cérébrale.

Les recherches de Laborit et de ses collaborateurs mettent en lumière l’impact du GHB sur l’activité cérébrale, en raison de sa similarité avec le GABA. En 1963, Samuel P. Bessman et William N. Fishbein ont découvert que le GHB était naturellement présent, bien que de manière peu significative, dans le cerveau.

Le GHB a rapidement suscité l’intérêt de la communauté médicale en raison de ses propriétés anesthésiques et hypnotiques. Son utilisation s’est répandue en chirurgie et pour traiter l’insomnie, mais elle a finalement été abandonnée, bien qu’on la retrouve parfois dans certains cas dans le traitement de certaines pathologies très spécifiques.

De la pipette à la gonflette

Cependant, l’histoire du GHB ne s’arrête pas là. À partir des années 1980, des laboratoires ont commencé à commercialiser des compléments alimentaires au GHB comme une alternative aux stéroïdes anabolisants interdits au grand public. Bien que les résultats de recherche rapportés par les Japonais en 1977 suggéraient que le GHB augmenterait les effets des stéroïdes et la libération de l’hormone de croissance, ces affirmations n’ont pas été scientifiquement étayées. Malgré cela, le GHB est devenu populaire parmi les adeptes de musculation aux États-Unis, vanté pour ses prétendues propriétés brûle-graisses et anti-âge.

Le GHB est devenu largement accessible aux États-Unis et en Europe, notamment dans les salles de sport et en parapharmacie. Plus tard, une hypothèse concernant sa diffusion dans les scènes festives gay est que des culturistes se sont rendu compte qu’en forçant un peu les doses ce complément alimentaire provoquait des effets sympas et qu’ils ont commencé à l’utiliser en tant qu’alternative à l’alcool qui ne ferait pas grossir. Il fait alors son entrée sur la scène festive, en particulier dans le milieu de la musique électronique et au sein de la communauté gay. Pendant les années 90, le GHB, surnommé « liquid ecstasy » par les anglo-saxons, est devenu une alternative prisée à la MDMA dans ces cercles, en raison de son faible coût, de sa facilité de dissimulation et de son entrée discrète en boîte de nuit.

Fin des années 1990, la couverture médiatique intense de quelques incidents sordides impliquant le GHB, comme des cas de soumission chimique suivis de viols et de décès, a incité les autorités à interdire sa vente dans la plupart des pays occidentaux. Malgré son image de « drogue du viol », il convient de noter que les cas impliquant le GHB sont relativement rares par rapport à d’autres substances comme l’alcool ou les benzodiazépines. De plus, dès les années 1990, la grande majorité des consommateurs utilisaient le GHB à des fins récréatives, non criminelles.

En France en 1999, le GHB a été classé comme stupéfiant, puis ajouté au tableau de la Convention des Nations unies sur les substances psychotropes en mars 2001, entraînant ainsi une restriction majeure de sa disponibilité légale. Les années 2000 sont marquées par l’interdiction du GHB et l’arrivée du GBL…

C’est le G ma pauv’ Lucette !

Le GBL justement ! Le gamma-butyrolactone (GBL) est un produit chimique utilisé comme solvant industriel, souvent trouvé dans le nettoyage des jantes de voitures ou des tags, devient une alternative au GHB. Il y a aussi le butanediol (BD), un autre solvant chimique disponible dans le commerce. Lorsqu’ils sont ingérés, le GBL et le BD sont métabolisés en GHB par une enzyme présente dans le foie et le sang. À partir de 2006, l’usage détourné du GBL a progressivement remplacé celui du GHB, notamment en raison de sa disponibilité légale. Aujourd’hui, bien que le GBL ne soit pas classé comme stupéfiant, la vente au public de produits contenant plus de 10% de GBL est interdite en France depuis septembre 2011, tout comme celle du butanediol (BD), un autre précurseur du GHB. Malgré sa disponibilité sur Internet à un prix abordable, le GBL nécessite des dosages précis et présente des effets plus intenses et soudains que le GHB, ce qui souligne l’importance de la connaissance des dosages pour les consommateurs.

L’utilisation du GBL, initialement confinée à des cercles restreints, s’est élargie à un public plus diversifié au fil des années. A chaque diffusion dans de nouvelles populations, on a observé des séries d’accidents liés aux particularités de ce produit qui, en cas de surdose, de mélange avec d’autres dépresseurs (comme l’alcool) ou de consommations trop rapprochées peut conduire au coma, voire au décès. A chaque fois, les milieux concernés se mobilisent et les nouveaux consommateurs assimilent ces risques. Ils développent alors des pratiques plus sûres (doser à la pipette graduée, faire une capture d’écran de l’heure où l’on consomme pour ne pas re-consommer trop vite, marquer les bouteilles de G avec du colorant alimentaire…) et le nombre d’accidents chute spontanément. 

Cela n’empêche pas les médias de couvrir chacun de ces épisodes de façon ultra alarmiste, peut être parceque le lien du GBL avec le GHB, étiqueté “drogue du viol” depuis la fin des 90s en fait un objet médiatique sulfureux. Le duo GHB / GBL se propulse ainsi de loin en tête des produits ciblés par des paniques morales dans les 30 dernières années. Si ces campagnes médiatiques peuvent permettre de souligner les risques du G, elles sont souvent maladroites (qu’on pense à la panique sur les injections sauvages de G) et provoquent une stigmatisation des consommateurs, les poussant vers la clandestinité alors même qu’il s’agit d’un produit légal ! Pendant la panique sur les piqûres sauvages, on a ainsi vu des consommateurs arrêter de doser convenablement leur G car ils avaient peur d’emporter une seringue avec eux (les seringues sont graduées).

En résumé, la saga du GHB et du GBL souligne l’évolution tumultueuse des substances, de leurs usages médicaux et/ou industriels à leur appropriation récréative. Elle montre aussi la complexité des ressorts qui poussent à interdire ou non une drogue puisque, alors qu’elle est considérée comme l’un des pires produits (viols, décès), elle reste légale pour des raisons économiques (son utilisation industrielle). 

Elle illustre aussi les dérives des médias et montre aussi que la stigmatisation de ces produits peut, hélas, stigmatiser également ceux qui les consomment, les exposant à des risques accrus. Car ces risques existent bel et bien, et ce que montre surtout cette histoire c’est que, comme souvent, le pire facteur de risque est la méconnaissance des effets réels des produits, de leurs dosages, interactions etc. Cette histoire est donc en elle-même un plaidoyer pour une éducation à la consommation et l’accès à des informations objectives. KNOW TO DRUGS !

 

Merci à Vincent Benso pour l’aide à la rédaction et la relecture.

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