La mise en place de la prohibition et de l’interdit pénal, qui caractérisent la politique française en matière de drogue, donne un statut ambigu à l’usager : considéré à la fois comme un malade et comme un délinquant, il est tantôt à soigner, tantôt à punir. Si au fil des ans la place laissée au soin s’est considérablement réduite au profit de mesures punitives, il découle de cette ambiguïté la création d’un statut particulier, celui d’« usager-revendeur », qui vient cristalliser l’ambivalence de notre cadre légal.
Pour comprendre la notion d’usager-revendeur, il faut connaître la base : la loi du 31 décembre 1970. C’est la loi en vigueur en France en matière d’usage de stupéfiants (loi n°70-1320 du 31.12.1970), qui instaure une double série de mesures, sanitaires, d’une part, et répressives, d’autre part. Elle considère l’usager de drogues comme à la fois malade et délinquant. Délinquant, puisqu’elle incrimine spécifiquement l’usage solitaire, même en contexte privé, et prévoit une peine d’emprisonnement ferme. Malade, puisqu’elle prévoit de soumettre les usagers à une série d’injonctions thérapeutiques.
L’idée de cette loi repose sur une équation simple : pour les trafiquants, la sévérité et la répression ; pour les usagers, la compassion et le soin. Sauf que, au lendemain même du vote, surgit la figure de l’usager-revendeur qui remet en cause ce schéma binaire. Une nouvelle forme de criminalité devient aussitôt visible, avec l’apparition d’un trafic dit « de fourmis », un marché pyramidal structuré avec les fourmis à la base, et tout au sommet, les gros bonnets.
D’importants risques financiers et judiciaires
Bien que le terme d’usager-revendeur soit couramment employé, il est difficile de trouver une véritable définition. La loi de 1970 n’en fait tout simplement pas mention et seuls les services de police l’utilisent dans leur fichier des interpellations, afin de désigner des usagers qui se livrent à des activités de vente pour payer leur propre consommation. En effet, la loi de 1970 ayant posé comme principe de soigner les usagers et de réprimer les trafiquants, l’usager trafiquant apparaît comme un cas limite. Malgré les nombreuses circulaires, la Cour de cassation laisse aux juges (et à l’appréciation locale) un pouvoir souverain pour déterminer la qualification de l’usage-revente.
En plus des risques sur la santé, les usagers-revendeurs s’exposent donc à d’importants risques financiers et judiciaires. Des problématiques invasives qui vont se cumuler et rendre encore plus difficile l’accès au soin et à l’accompagnement vers la sortie de cette activité qui prend vite beaucoup de place.
Dans la revue Swaps (numéro 59) le sociologue Vincent Benso revient sur la notion d’usager-revendeur. En abordant notamment les raisons, les parcours qui mènent à ces pratiques.
Il met en lumière deux manière d’y venir. Pour la première :
À contrepied du cliché du dealer non consommateur, une part non négligeable des usagers-revendeurs interrogés sont entrés dans cette pratique par la revente. Fréquemment issus de milieux populaires, ces jeunes désargentés et largement opposés (en ce qui les concerne) à la consommation de drogues dures voient dans la possibilité d’aider un ami revendeur à écouler ses stocks un bon moyen de gagner un peu d’argent de poche. Les formes de revente ainsi développées s’appuient sur des liens personnels, les poussant à fréquenter leurs clients
sur le long terme Ces derniers étant fréquemment des consommateurs intégrés ne rencontrant que peu de problèmes liés à leur usage, les représentations des petits
revendeurs évoluent et d’une surestimation des dangers liés à l’usage de drogue, certains passent à leur sous-estimation. Ils pourront alors commencer à consommer, initiés par leurs clients qui, ayant tout intérêt à conserver de bons rapports avec eux, leur ouvrent parfois les portes d’univers jusqu’alors inaccessibles : défonce, soirées, rencontres, c’est le bluff de l’argent et de la cocaïne qui commence…
Il ajoute pour la seconde :
L’autre porte d’entrée est plus connue, c’est celle où l’individu commence par consommer et ne revend qu’ensuite. On imagine alors des usagers très lourdement engagés dans la consommation, contraints de revendre pour pouvoir se payer leur dose. Pourtant, chez les témoins interrogés, le niveau de consommation ou de dépendance n’apparaît pas comme un facteur déterminant dans le passage de l’usage vers la revente. La recherche menée incite plutôt à relier l’entrée dans la revente à des facteurs d’ordre situationnels, au premier
rang desquels l’accès à des produits de bonne qualité et peu chers, ainsi que la position dans le groupe de pairs.
Sources :
L’impossible Prohibition, de A. Marchant (Perrin, 2018) ;
Droit de la drogue, de F. Cabalerro et Y. Bisiou (Dalloz, 2000).