
Un médicament devenu substance récréative
La kétamine est à l’origine un anesthésique utilisé en médecine humaine et vétérinaire depuis les années 1960. Depuis peu, elle est aussi prescrite (sous forme de Spravato®) dans certains cas de dépression résistante. Mais en dehors du cadre médical, la « ké » est détournée pour ses effets hallucinogènes et dissociatifs. Le plus souvent sniffée sous forme de poudre, elle provoque une distorsion des perceptions et, à forte dose, le fameux K-hole (expérience de décorporation, voire perte de conscience).
En France, la kétamine est arrivée doucement sur le marché dans les années 1990 mais circule au début assez peu et plutôt dans des milieux exclusivement festifs, souvent vendue environ 20 euros le gramme. Depuis, on la retrouve partout. Très accessible, que ce soit en ville ou en milieu rural, elle fait partie des substances simples à se procurer et est relativement peu chère.
Depuis deux à trois ans, les usages de kétamine connaissent une mutation rapide, illustrant le double visage des psychotropes : un médicament utile en anesthésie ou en psychiatrie, mais qui, en contexte festif, expose à des risques spécifiques (blessures, K-hole, atteintes urinaires, dépendance).
De l’usage festif à la dépendance
Depuis quelques années, les professionnel·les observent ainsi un glissement de l’usage occasionnel et expérimental vers des usages plus réguliers, parfois problématiques. Autrefois marginalisée, la K a envahi la sphère des consommateurices pour plusieurs raisons. Contrairement à d’autres hallucinogènes, elle peut induire tolérance et dépendance chez les usager·es réguliers. Très rapidement, les personnes concernées peuvent être amenées à augmenter les doses jusqu’à plusieurs grammes par jour pour retrouver les premiers effets ressentis.
Selon l’OFDT, « Depuis les années 2010, les observations menées par le dispositif Trend révèlent toutefois une diffusion progressive de la kétamine auprès de publics plus variés sur le plan socioculturel, mais déjà familiers des usages de drogues. Cette expansion s’accompagne d’un changement de représentation : longtemps perçue comme une substance dangereuse, notamment en raison de son usage en médecine vétérinaire et de l’intensité de ses effets, la kétamine est désormais associée à une diversité de fonctions que lui assignent les usagers – recherche d’hallucination, d’effets stimulants, soulagement de souffrances psychiques ou physiques, gestion d’autres usages problématiques comme l’alcool, les opioïdes ou les médicaments psychotropes. Les contextes de consommation se diversifient également, des évènements festifs variés (clubs, festivals, etc.), des consommations solitaires ou au chemsex ».
Possédant des propriétés dissociatives, elle peut également être utilisée en automédication et on assiste à une hausse très marquée des consommations parmi les jeunes, en particulier dans les milieux festifs, queer, précaires ou chez les personnes psychiquement vulnérables. Les données issues du terrain mettent en lumière des formes d’usage intensif, chronique, autothérapeutique ou injectable, entraînant des dommages majeurs mais encore largement invisibilisés.
Des risques aussi bien physiques que psychologiques
L’extension rapide de ces usages, leurs spécificités et l’isolement qu’ils provoquent donne du pain sur la planche à la réduction des risques qui doit s’adapter à cette multiplicité de pratiques, mais pose également problème aux soignant.es et travailleureuses sociaux en addictologie, confronté.es au manque de données, d’infos et de formation sur ce produit hors usage médical.
Sans traitement de substitution possible pour l’instant, iels font face à des profils différents avec des modes de conso qui varient et parfois des problématiques psychologiques particulières. Les risques sont élevés, des symptômes physiques rapides tels que des douleurs abdominales, des cystites sévères et des atteintes urinaires parfois irréversibles guettent les usager.es quotidiens, en plus de troubles psychologiques type pertes de repères, accidents liés à la dissociation ou traumatismes (à cause de l’effet anesthésiant).
« C’était festif au début… Maintenant je me réveille avec une trace. »
« J’avais l’impression de gérer, mais en fait j’étais accro, seul chez moi tous les soirs. »
« J’ai dû me piquer à la K, je croyais jamais en arriver là. »
Qui consomme ?
- Chez les jeunes : 0,9% des 17 ans et 1,1% des lycéens déclaraient en avoir déjà pris en 2022.
- Chez les adultes : 2,6% des 18-64 ans disent en avoir consommé au moins une fois.
L’usage reste minoritaire, mais certaines scènes nocturnes rapportent une hausse, notamment chez les jeunes en clubs ou festivals.
L’urgence d’une réduction des risques adaptée et d’une politique d’accompagnement des usager.es semble donc bien réelle : chaque année en France, environ 300 personnes consultent un Csapa pour un usage problématique de kétamine.