Le 1er antalgique impliqué dans les décès liés aux antidouleurs, devant la morphine et le 2e antalgique le plus fréquemment retrouvé sur les ordonnances falsifiées mérite bien qu’on s’attarde sur son cas.
Le tramadol (ou chlorhydrate de tramadol) est une molécule antalgique (antidouleur) opioïde de synthèse prescrite en France pour le traitement des douleurs modérées à sévères (palier 2 sur 3). On en trouve dans une centaine de médicaments sous différents noms (Topalgic®, Contramal®, etc.), son autorisation de mise sur le marché date de 1997 et il est commercialisé dans plus de 100 pays à travers le monde. La demi-vie dure 5 à 7 heures (5 à 6 demi-vies sont généralement nécessaires à l’élimination complète d’un composé pharmaceutique) et la posologie MAXIMALE est de 400 mg/24h.
Théoriquement, le tramadol est la dernière alternative antidouleur du palier 2, c’est le plus fort médicament de sa catégorie. Après ça, le palier 3 concerne les Antalgiques centraux forts (pour les douleurs très intenses, voire rebelles) tels que la morphine ou le fentanyl. Mais on peut se faire prescrire trop facilement du tramadol pour des douleurs chroniques, des rages de dents, des douleurs post-opératoires, des rhumatismes et une multitude d’autres douleurs. Souvent, les stocks non utilisés finissent dans les armoires à pharmacie familiales qui sont des cavernes d’Ali-Baba pour individus en mal de sensations ou subissant un profond mal-être. Il est de bon ton de garder ses médicaments sous clé et sous contrôle parental (qui ne se substitue pas au diagnostic d’un médecin). L’initiation autodidacte au mésusage de médicaments peut se faire par ce biais (comme dans la série Euphoria où Rue se fournit dans les stocks de son père atteint d’un cancer). D’ailleurs, cette facilité d’accès à un produit dangereux et réglementé est aussi une question que se pose l’autrice de l’émouvant livre témoignage Pauline : un drame familial.
Les chiffres sont effarants : le tramadol est le premier antalgique impliqué dans les décès liés aux antidouleurs (devant la morphine) et le deuxième antalgique le plus fréquemment retrouvé sur les ordonnances falsifiées présentées en pharmacie.
La même famille que l’héroïne
Peut-être que s’il était rappelé lors des prescription que le tramadol est de la même famille que l’héroïne (la plus diabolisée des drogues), cela mettrait dans la tête des gens que c’est un produit dangereux et avec lequel il ne faut pas rigoler. Le tramadol est donc un produit dépresseur du système nerveux central, son potentiel addictogène est élevé, son accoutumance est notable (même si moins rapide qu’avec d’autres opiacés) et la surdose – qui peut être mortelle – entraîne somnolence, perte de connaissance et trouble cardio–respiratoire. Son utilisation avec d’autres substances légales (l’alcool, par exemple, qui est un autre dépresseur) ou illégales est particulièrement déconseillée. Par ailleurs, l’utilisation de tramadol pendant la grossesse peut nuire à la santé du fœtus, la molécule traversant la barrière placentaire.
Parmi les effets indésirables fréquents et très fréquents, on retrouve les effets traditionnellement attendus chez les usagers d’héroïne et d’opiacés :
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- vertiges ;
- démangeaisons ;
- maux de tête ;
- somnolence ;
- nausées ;
- constipation ;
- sécheresse buccale ;
- vomissements ;
- hypersudation.
Une utilisation régulière entraîne une accoutumance et un arrêt brutal peut provoquer un syndrôme de manque.
Dans un article plutôt bien foutu, le magazine Que Choisir résume : « Un sondage mené par l’Observatoire français des médicaments antalgiques (Ofma) publié en 2022 montrait que 3 personnes sur 4 prenant du tramadol ne connaissent pas la dose maximale journalière (400 mg). Et 9 personnes sur 10, soit la quasi-totalité d’entre elles, ignorent aussi le risque d’arrêt respiratoire lié à une surdose, alors que cet effet indésirable peut être mortel. Les résultats de cette enquête rappellent « la nécessité de mieux informer les patients »»
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- Est-on en droit d’attendre des prescripteurs qu’ils prennent le temps d’insister sur les risques du produit, qu’ils fassent des recommandations visant à réduire les risques pris par les patients, qu’ils prennent des nouvelles à j+1, j+2 du traitement ?
- Oui, évidemment.
- Est-ce que la délivrance « sur mesure » de ces médicaments permettrait d’éviter une partie des mésusages ?
- Sans doute ! En n’ayant que le strict nombre de comprimés prévu par l’ordonnance, et pas une boîte dont il nous restera la moitié à l’issue du traitement.
- Est-ce que le retour en officine systématique des cachets non utilisés devrait être encouragé ?
- Certainement, mais quel coût demanderait la mise en place d’un tel système ?
- Est-on en droit d’attendre des prescripteurs qu’ils prennent le temps d’insister sur les risques du produit, qu’ils fassent des recommandations visant à réduire les risques pris par les patients, qu’ils prennent des nouvelles à j+1, j+2 du traitement ?
« Les usages problématiques observés sont notamment un trouble de l’usage avec des signes de sevrage à l’arrêt survenant même lors de prises à posologies recommandées et sur une courte période, entraînant une prise persistante par des patients qui ne présentent plus de douleur », rapporte le Réseau français des centres régionaux de pharmacovigilance.
Une action sur la sérotonine
Une autre spécificité (et mise en garde) du tramadol est son action sérotoninergique. Un peu comme la MDMA, le tramadol peut provoquer une sensation de bien-être relatif à son action sur la sérotonine dans le cerveau. En fonction, cela peut provoquer le même coup de déprime qu’après un taz, à ajouter évidemment au possible mal-être causé par un potentiel syndrôme de sevrage opiacé.
On vous a déjà parlé du syndrôme sérotoninergique. Eh bien, c’est potentiellement de cela qu’il s’agit. En cas de surdose au tramadol, ce syndrome peut apparaître. Mais il est également possible de le déclencher sans surdose, en consommant des substances qui provoquent de grandes libérations de sérotonine ou celles qui en inhibent la recapture.
Les symptômes sont nombreux et non spécifiques, ce qui rend le diagnostic et la prise en charge efficace plus compliqués. Pour vous faire une idée, voici les éléments cliniques du diagnostic tels qu’ils sont décrits dans ce guide de bonnes pratiques publié sur le site Oprhanet (avec nos explications entre parenthèses et en italique).
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- Manifestations végétatives :
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- Hyperthermie >39° d’installation rapide (élévation rapide de la température corporelle) ;
- Tachycardie sinusale/arythmie/hypo ou hypertension artérielle (trouble du rythme cardiaque) ;
- Nausées, vomissements et diarrhée ;
- Tachypnée et dyspnée (difficultés à respirer ou respirations anormalement rapide) ;
- Hypersudation ou frissons/tremblements.
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- Syndrome neuropsychiatrique :
- Anxiété, impatience, agitation et nervosité ;
- Insomnie ;
- Confusion, désorientation, troubles du comportement ;
- Encéphalopathie (fièvre, maux de tête, modification de la personnalité ou confusion, paralysies ou engourdissements, somnolence) ;
- Convulsions ;
- Troubles de la conscience, coma.
- Signes neuromusculaires :
- Myoclonies (contraction musculaire brève et brusque), akathisie (impossibilité à rester immobile, en particulier assis, avec un besoin incessant de déplacer les membres inférieurs) ;
- Troubles de la coordination ;
- Hyperréflexie (réponses exagérées du corps face à certains stimulis), mydriase (pupilles dilatées), clonus (contractions anarchique et brutale des muscles), augmentation du tonus musculaire (contraction involontaire et anormale des muscles) ;
- Syndrome pyramidal (paralysie qui se manifeste par une perte de la motricité volontaire associée à une exagération des contractions musculaires (spasticité ou hypertonie) et des réflexes).
- Syndrome neuropsychiatrique :
Et la complexité de ce diagnostic – dont les symptômes sont communs à d’autres troubles –, c’est qu’il s’agit d’un diagnostic d’exclusion. C’est-à-dire qu’il faut avoir écarté d’autres pistes envisageables.
Dans le cas du syndrôme sérotoninergique, il faut s’assurer que le patient ne souffre pas :
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- d’un processus infectieux ;
- d’un trouble métabolique ;
- d’une affection neurologique ou psychiatrique.
Dans ce cadre, la transmission des informations est cruciale, notamment sur les produits consommés. Lorsque l’on arrive aux urgences, il est possible qu’on ne soit plus en état de lister nos consommations, c’est pour ça qu’il est important de ne pas consommer seul et de prévenir des personnes compétentes (secouristes, asso de RdR, stand de prévention, les potes, ou même les barmen) si on sent que « quelque chose ne va pas », et de faire l’état des lieux de nos consommations.
Bref, tout ça pour dire que les surdoses de tramadol et les risques associés sont nombreux et protéiformes. Pour plus d’informations sur le syndrome sérotoninergique, vous pouvez visionner notre vidéo « Lumière sur l’Extase | quatrième épisode : comment on réduit les risques ? » issue de notre collaboration avec Psychonaut.fr sur la MDMA.
Pour conclure cet article qui est déjà bien long, nous ne pouvons que vous encourager ! Vous encourager à vous renseigner sur les substances qui vous intéressent, qui vous font de l’œil et sur les risques associés. Vous encourager à questionner vos usages et à parler de vos consommation avec (au choix) des amis, de la famille, votre docteur, un psy, un Csapa ou un Caarud, etc.
Sources :
« Tramadol : état des lieux préoccupant sur les usages problématiques » sur Medscape (Avril 2022).
« Évaluation des connaissances sur le tramadol chez les patients d’une officine dans le département de l’Hérault » sur Dumas, thèse de doctorat en Pharmacie de Jérémy Martinez.
« État des lieux de la consommation du tramadol : entre mésusage et dépendance » sur Dumas, thèse de doctorat en Pharmacie de Lucie Deveaux 2022.
« Codéine et tramadol, l’héroïne de monsieur et madame tout le monde » et « Tramadol, effets, risques, témoignages » sur Psychoactif.
« Tramadol : Mécanisme d’action » sur le Vidal (2015).
« Les dangers méconnus du tramadol » sur Quechoisir (2023).
« Le syndrome ou toxidrome sérotoninergique : étiologies, signes cliniques centraux et périphériques » un article d’Odile Spreux-Varoquaux dans la revue l’information psychiatrique disponible sur Cairn.info (2013).