DJ, militante et membre active des collectifs S.OROR, Syncronia et No Stage Without Us, LEO partage son parcours, son rapport à la fête, et son engagement pour une scène électronique plus accessible.

FÊTE ET ACCESSIBILITÉ | ITW DE LA DJ LEO

Publié le 20 octobre 2025 par Léa

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Cet article parle de : #milieux-festifs

💥 Le résumé de ce qu’on s’est dit (et qu’on ferait bien de retenir)

  • L’accessibilité, ce n’est pas un bonus : c’est une base.

  • Écouter les personnes concernées, c’est déjà changer la donne.

  • La fête sans nous, c’est juste du bruit.

En bref

LEO, DJ et militante toulousaine, balance une vérité simple : sans accessibilité, la fête n’est pas inclusive, et sans écoute, elle n’a pas de sens. Dans le milieu festif comme ailleurs, les personnes en situation de handicap — visibles ou non — se battent pour exister dans des espaces pensés sans elles. Le collectif No Stage Without Us remet le handicap au centre de la scène : accès aux toilettes, zones chill, sensibilisation, formation… des petits gestes qui changent tout.
Parce que prendre soin, c’est politique. Parce que écouter les concerné·es, c’est déjà militer. Et parce que la fête libre, c’est celle où tout le monde peut danser sans devoir se justifier.


«  Il faut qu’on nous écoute, tout simplement. »

Suite au premier article publié sur la fête et l’accessibilité, notamment aux personnes en situation de handicap, nous vous proposons aujourd’hui un entretien avec LEO, DJ, militante et membre active de plusieurs collectifs toulousains.
Cette série vise à ouvrir la réflexion, questionner nos biais et surtout à donner la parole à celles et ceux qui vivent ces réalités au quotidien.

LEO est membre des collectifs S.OROR et Syncronia, co-meneuse du collectif No Stage Without Us lancé en septembre dernier, et parle ouvertement de son handicap et de la maladie de Crohn sur son compte Instagram, @calm_creatur.
Elle revient ici sur son parcours, son rapport à la fête, son engagement pour une scène électronique réellement accessible, et ses expériences en tant que personne en situation de handicap dans le milieu festif.

Léa : Salut LEO, merci de me recevoir. Je suis ravie de l’interviewer. Tu es donc DJ, investie dans plusieurs collectifs liées à la fête et la musique électronique : S.OROR et Syncronia, et tu co-mènes aussi le collectif No Stage without US. Tu as aussi pour habitude de parler de handicap et de la maladie de Crohn sur ton compte instagram de BD. Est-ce que tu veux te présenter autrement ? Comment décrirais-tu ton lien avec la fête ?
LEO :  Je pense que tu m’as bien présentée, ahah ! Merci. Effectivement, je suis DJ mais avant tout une consommatrice de musique électronique.
Mon lien avec la fête est là depuis un long moment, bien qu’il ait évolué. À mes débuts, je voulais sortir et faire la fête puis au fur et à mesure, je sortais pour écouter réellement la musique. Aujourd’hui, je sors plus de la même façon qu’avant, c’est surtout pour supporter des ami.es DJ ou collectifs qui me tiennent à cœur.

Léa : Je t’ai connue à Toulouse, pour ton activité de DJ, je t’ai suivie sur Instagram. Tu parles de tes handicaps, du quotidien avec la maladie. Tu as aussi un compte Instagram, @calm_creatur, où tu dessines pour raconter, pour dire et parler de la maladie autrement. Qu’est-ce qui t’a donné envie de parler publiquement de ton handicap et de ta maladie ?

LEO : J’ai commencé à parler de la maladie publiquement sous forme de mini BD parce que je savais pas trop à qui parler. Disons que c’était une sorte de thérapie.
Mes ami.es ont toujours été à l’écoute mais j’ai toujours eu ce sentiment de déranger. Puis parfois, il se passe beaucoup de choses niveau santé dans un court laps de temps, c’est compliqué pour moi-même de suivre.
Au fur et à mesure, ça m’a aidée à accepter et à me rendre réellement compte de ce que je pouvais vivre.

Le handicap invisible, une bataille quotidienne

Léa : On parle peu du handicap invisible. Comment t’affecte-t-il au quotidien et dans ta pratique artistique ?
LEO : En effet, on parle peu du handicap invisible alors que c’est 80% des handicaps en France. Et on me le rappelle au quotidien parce qu’évidemment lorsqu’on me voit, on ne s’imagine pas que je suis malade et que je souffre donc je me prends des remarques validistes plus absurdes les unes que les autres.
Je pense que pour les valides, le handicap est visible et surtout « grave ». Donc moi, si je leur dis que l’un de mes handicaps c’est d’avoir mal au ventre et d’aller aux toilettes 20 fois par jour, ils vont me dire « oui, t’as une gastro quoi », sans aller plus loin.
Mais dès que j’explique que je suis suivie à l’hôpital tous les mois, que mon traitement est une sorte de chimio, tout de suite on me regarde différemment. 

Léa : C’est une bataille au quotidien… d’être considérée et que l’on considère tes demandes sans les remettre en question ?
LEO :  Oui. Les symptômes lorsque je suis en crise sont très intenses et parfois m’empêchent carrément de sortir, ne serait-ce que la douleur ou parce que je sais pertinemment qu’il n’y a pas d’endroit adéquat pour moi dans les clubs, que ce soit en tant que spectatrice ou artiste. Par exemple, en tant que DJ, quand je parle d’endroit adéquat, je parle simplement d’une loge avec toilettes à part ou un accès prioritaire aux toilettes, n’ayant pas encore la carte de la mdph. 

 « Une fille m’a dit : ‘tu mens, t’as pris de la drogue, connasse.’ »

Léa : À propos du milieu festif, à quel moment as-tu fait le lien entre ton handicap, la fête et l’accessibilité ? Est-ce qu’il y a eu une expérience ou un déclic ?
LEO : Ma vie sociale a considérablement changé après la découverte de la maladie de Crohn. Les crises étant complètement imprévisibles, il m’est déjà arrivé de partir d’une minute à l’autre d’un événement, d’annuler à la dernière minute, et nombreuses sont les personnes qui me l’ont déjà fait remarquer : « Ah, t’es pas drôle », « Ah bah super, on avait prévu ça et t’annules ».
Et toi, tu te retrouves comme une conne, seule, à en pâtir et à culpabiliser. Une fois, j’étais au Bikini à Toulouse, en tant que public. J’ai dû partir en vitesse aux toilettes car malade, il y avait une queue de fou et personne ne voulait me laisser passer. Une fille a fini par me laisser passer et quand je suis sortie, cette même fille m’a dit « Ah ouais, t’as été vite, en fait tu m’as menti, t’as pris de la drogue, connasse ». J’étais choquée.

Inclusivité ≠ accessibilité

Léa : On parle souvent d’inclusivité, de care, de bienveillance dans les milieux festifs (que ce soit concernant le public ou les orgas), on parle rarement d’accessibilité. Qu’est-ce que tu aimerais dire à ce sujet ? Est-ce que tu as vu une évolution de la scène depuis que tu es DJ/teufeuse ?
LEO : J’ai l’impression que quelques efforts commencent à être faits, en tout cas l’intention est là. Mais il est vrai que la question de l’accessibilité, je la trouve quasi inexistante. Les personnes handicapées ne sont tellement pas représentées qu’on se dit qu’on ne peut pas être accueilli·es, ça donne même pas envie d’essayer.

Léa : J’ai l’impression que pour la majorité des orgas, quand on parle d’accessibilité, le leitmotiv c’est « on va mettre des choses en place, de toute façon, elles ne viennent pas faire la fête ».
LEO : Oui puis « mettre des choses en place » c’est quoi ? Moi j’attends vraiment de voir ce qui est mis en place. Alors que des choses très simples peuvent exister mais je pense que ça ne traverse même pas l’esprit des gens valides.  Par exemple, le manque de toilettes, le manque de zone chill, le manque de formation sur la question pour les teams bienveillance, le manque de connaissances des organisateurices… Tous les handicaps ne sont pas visibles et ne sont pas physiques.
Je pense que c’est important de prendre en compte la parole des personnes concernées et de faire en sorte au moins de les écouter, au mieux les accueillir dignement.

« Il faut juste qu’on nous écoute. »

Léa : Qu’est-ce que tu aimerais voir davantage mis en avant ? Qu’est-ce que les organisateurices pourraient faire pour rendre leurs événements plus accessibles ?
LEO : On m’a déjà dit « on peut pas se plier à tous les handicaps », mais parfois, il ne faut pas grand-chose pour que les personnes handicapées se sentent incluses. Ne serait-ce que de la prévention, de la documentation, des affiches à ce sujet.
À titre perso, quand je mixe je demande juste un accès privé à des toilettes. Si le lieu n’en dispose pas, je demande un accès prioritaire avec quelqu’un de l’orga ou de la sécurité au courant, pour éviter les conflits. Je ne pense pas demander la lune.
Après, concernant mes autres handicaps, je les gère mieux en solo, la maladie de Crohn est celle qui me demande le plus d’adaptabilité et de besoins spécifiques.

 « Avoir une autre option que celle de quitter la soirée »

Léa : Alors, comment tu te sens bien en teuf ? Qu’est-ce qui t’aide à passer un bon moment et à te sentir sécurisée sur tes besoins ?
LEO : Ce qui m’aide à me sentir bien, c’est déjà le fait de ne pas être en crise, ahah ! Sinon ça me fait du bien d’avoir des ami.es organisateurices ou DJ qui prennent en compte mes besoins. Plusieurs fois j’ai pu avoir un accès backstage sans être artiste ni orga, juste parce que mes ami.es savent que ça peut arriver à n’importe quel moment. Ça paraît pas grand-chose mais t’imagines pas à quel point ça me soulage de me dire que j’ai une autre option que celle de quitter la soirée. Et j’aimerai que ce soit le cas pour toustes.
Ce qui me fait du bien aussi, c’est de voir qu’à force d’en parler, on m’écoute. J’ai espoir que la question du handicap et de l’accessibilité soit plus largement entendue.

« Mettre le handicap au centre de la table » (No Stage Without Us)

Léa : Tu co-mènes un collectif, No Stage Without Us, peux-tu m’en dire plus ? Quelles sont vos actions, vos envies, vos projets ?
LEO : No Stage Without Us, c’est une asso lancée par Morgann (artiste live) dont Julia (artiste de cirque) et moi-même avons rejoint.

On co-mène le projet toutes les trois, avec l’envie de sensibiliser, d’éduquer et de mettre le sujet du handicap au centre des discussions, dans une dimension intersectionnelle. On prépare plusieurs choses chouettes, notamment des tables rondes et des interventions dans des lieux festifs !

Léa : C’est une chouette initiative, j’espère que les orgas et les personnes qui bossent dans des lieux culturels et festifs auront le réflexe de consulter vos ressources, et de vous appeler pour prioriser la parole des concerné·es.
Pour finir, quel message aimerais-tu faire passer à la scène techno/milieu festif sur le handicap et l’accessibilité ?
LEO : Je pense que j’ai surtout envie de dire que la musique n’est pas neutre, qu’on le veuille ou non. L’art de façon générale ça porte toujours une histoire, une lutte, c’est une façon de résister, un moyen de refuser le silence. La musique électro est à l’antipode de l’apolitisme. C’est super important de le préciser, de le répéter parce que la scène aujourd’hui est plus qu’en péril. L’intersectionnalité des luttes c’est pas une théorie abstraite hein, c’est une pratique vitale ; combattre les différentes oppressions isolément c’est les laisser respirer et grandir ailleurs.Militer pour une fête inclusive et intersectionnelle c’est refuser que certaines voix marginalisées pendant que d’autres (et toujours les mêmes) soient célébrées.Militons, c’est la seule chose qu’on puisse encore faire.

Léa : Merci infiniment LEO ! On espère te retrouver bientôt derrière les platines ou lors d’un événement avec No Stage Without Us.

Cette rencontre avec LEO nous rappelle que l’accessibilité et l’inclusivité ne sont pas seulement des enjeux logistiques : elles sont profondément politiques et sociales.
Il s’agit de repenser nos pratiques, d’écouter les concerné·es et de créer des espaces festifs où chacun·e peut se sentir pleinement accueilli·e.

Le travail de No Stage Without Us et le témoignage de LEO montrent que de petits aménagements, de la formation et surtout de l’écoute peuvent transformer l’expérience de toustes. 

Il ne s’agit pas seulement de rendre la fête possible : il s’agit de rendre la fête libre et accessible. 

 

Ndlr : No Stage Without Us œuvre pour une meilleure inclusion et accessibilité des personnes en situation de handicap dans le spectacle vivant et les milieux festifs. L’association accompagne les structures culturelles pour rendre leurs événements plus accessibles, durables et inclusifs.


Plus d’infos sur : nswu.fr  / instagram : no_stage_without_us 

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