La facade tagguée du 110 bld Libération à Marseille qui avait été choisi pour accueillir la HSA
La facade tagguée du 110 bld Libération à Marseille qui avait été choisi pour accueillir la HSA

Salle de conso : quels arguments pour l‘opposition ?

Publié le 30 septembre 2024 par Maxime

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Cet article parle de : #sante #addiction

Alors que le projet d’ouverture d’une Halte soins addictions (HSA) à Marseille a une nouvelle fois capoté face à la levée de boucliers des riverains du quartier où elle devait s’installer, une étude de Maya Mazzacane s’est plongée dans l’analyse de l’expression de l’opposition des riverains de la salle de Paris autour de deux questions principales : 

  1. Comment ces discours d’opposition participent-ils à un renversement des représentations associées au dispositif ? 

  2. En quoi cette confrontation présente-t-elle un potentiel instituant, influençant l’action publique locale ?

Autrement dit, comprendre comment les dispositifs communicationnels que constituent les comptes rendus de comités de voisinage et le fil de discussion Twitter conditionnent l’expression des discours d’opposition et façonnent les rapports de force entre les acteurs.

Tout d’abord, en s’intéressant à la forme desdits discours, qui apparaissent « contraints par des cadres communicationnels qui conditionnent les rapports de force entre les acteurs ». Ainsi, le passage à l’écrit qui « apporte une dimension normative », en nécessitant « d’effectuer des choix formels » malgré une volonté de neutralité. Car, comme le souligne l’auteure, « les paroles ne sont pas retranscrites mais sont relatées ».

Twitter, « bras armé » de l’opposition

Mais le rapport de force entre pro et anti salles est également « bousculé par le déséquilibre entre le nombre d’acteurs favorables au dispositif et ceux qui y sont opposés ». Le déséquilibre au sein du fil de discussion Twitter est en effet « particulièrement significatif », avec 2 comptes qui soutiennent la maire d’arrondissement et 7 qui émettent un avis ambivalent, face aux 70 qui « s’expriment en opposition ». Dénombrant 90 comptes pour un total de 135 tweets publiés, le mémoire précise en outre que certains acteurs « s’expriment donc plusieurs fois au sein de la même discussion ».

Le caractère numérique de l’espace de discussion a également une influence sur les discours d’opposition et les modes de confrontation, ce que Maya Mazzacane explique notamment par l’utilisation de pseudonymes :

Contrairement aux comités de voisinage où les acteurs s’expriment en leurs noms, l’utilisation de pseudonymes sur Twitter participe à déresponsabiliser l’utilisateur de ses propos, phénomène très commenté aujourd’hui et qui est notamment perçu comme une des sources de la haine en ligne. Cela additionné à la sortie du cadre institutionnel des comités, l’opposition s’exprime d’une manière plus radicale.

Là où les comités de voisinage représentent « un espace favorable à l’imposition de l’autorité des pouvoirs publics », Twitter permet ainsi « de renverser le rapport de force ». Et alors que « les premiers semblent constituer des espaces de dialogue », le second « représente davantage un lieu d’expression presque unanime des discours d’opposition ».

D’un côté, donc, le comité de voisinage, qui « revêt un caractère institutionnel et normatif », de l’autre, le fil de discussion Twitter qui « peut être considéré comme un espace alternatif favorisant l’expression des discours oppositionnels ».

Deux espaces qui ne sont pas cependant pas distincts, des formes de circulation et de pénétration des discours influençant les modes de confrontation.

Le poids des mots

Plusieurs dénominations coexistent concernant la désignation du public accueilli au sein du dispositif, et alors que l’expression « usagers de drogues » est « très majoritairement » promue par les acteurs associatifs de la réduction des risques, le terme « toxicomane » semble dominer dans l’espace public.

Le cadre de diffusion influence là encore l’usage des dénominations : 11 utilisations de « toxicomanes » et aucune d’« usagers de drogues » sur Twitter ; 78 « usagers de drogues » ou « usagers », contre 32 « toxicomanes » au sein des comités de voisinage.

Les représentations qui en sont faites étant très largement fondées sur ce qui en est dit, un des ressorts stratégiques de ces discours réside dans le fait qu’ils participent à construire des représentations de la SCMR (salle de consommation à moindres risques).

Concernant le dispositif en lui-même, l’auteure indique que « là où salle de consommation à moindre risque suggère une solution sanitaire encadrée, salle de shoot revêt une connotation bien plus péjorative pouvant participer à un rejet du dispositif ».

On assiste ainsi à « une forme de renversement, consistant à transformer une solution en problème », et alors que la SCMR devait constituer une solution visant à pallier un problème de santé publique lors de sa création, les comptes rendus de comités et du fil de discussion Twitter montrent qu’elle « est davantage appréhendée comme un problème, provoquant des nuisances et de l’insécurité dans l’espace public ».

Le choc des photos

Un ressort essentiel permet de légitimer le problème et de renverser les représentations : la mise en place d’une « forme de régime de preuves », preuves majoritairement constituées d’images diffusées sur Twitter et dans les comités de voisinage, et rendant compte des conséquences sur l’espace public de l’implantation de la SCMR. Toutes sont très explicites : déchets, nuisances sonores, scènes d’injection, gros plans sur des traces de consommation, violentes altercations dans l’espace public, etc.

« La valeur et la place qu’ont prises ces images dans la discussion incitent les acteurs à les concevoir comme des potentielles preuves légales venant se substituer aux vidéos de surveillance installées par les forces de l’ordre », analyse Maya Mazzacane qui souligne que « la manière de représenter le quotidien des riverains, et par extension la SCMR et ses conséquences, apparaît ainsi très directe, crue ou même violente ».

Mais les acteurs de l’opposition doivent également prouver leur compétence et leur légitimité à imposer ce problème à l’agenda local.

Leur rôle et leur place dans la discussion publique n’étant pas induits par leur fonction ou leur activité professionnelle, c’est leur statut de riverains qui leur octroie leur légitimité. Ainsi, les riverains ont-ils « tendance à valoriser leur proximité vis-à-vis du problème en soulignant une forme de déconnexion des élus, qui n’habitent pas aussi près de la SCMR et donc de la réalité décrite par les habitants du quartier ».

Et la santé dans tout ça ?

Résultat : on assiste à « une mutation significative du débat vers les problématiques de désordre public, délaissant ainsi la question sanitaire pourtant à l’origine du dispositif ».

Les questions liées au désordre public engendré par la salle de consommation étant particulièrement prégnantes au sein des discours d’opposition, l’aspect médical ou sanitaire de la SCMR, pourtant à l’origine de sa création, peine en effet à s’imposer.

D’autant que les riverains opposés au dispositif ne croient pas en sa dimension médicale, une idée semble-t-il « entretenue par une conception du soin en matière de drogues issue de notre histoire politico-juridique prohibitionniste, qui ne perçoit que le sevrage comme finalité ». Or, comme le rappellent l’auteure, « le principe de la politique de réduction des risques dans laquelle s’inscrit le dispositif est justement de proposer d’autres alternatives au sevrage, perçues comme plus réalistes au regard de la difficulté que représente l’abstinence, notamment pour des usagers en grande précarité sociale et économique ».

Un « délaissement des problématiques sanitaires » auquel les acteurs publics ont répondu par un changement d’appellation, « Halte soins addictions », faisant disparaître le terme de consommation au profit de celui de soin.

Un changement d’appellation qui met également en avant la notion de nomadisme associée aux usagers, puisque « là où le terme de salle induisait l’idée d’un aménagement pérenne ancré dans l’environnement urbain, le choix du terme halte renvoie au caractère nomade des usagers. Le dispositif qui aurait pu représenter un biais d’appropriation du quartier pour les usagers est finalement réduit en un lieu de passage, conformément aux représentations des riverains ».

Ou comment rassurer les habitants et calmer l’opposition « en invisibilisant le potentiel sédentaire de la SCMR ».

« Discours institués et représentations instituantes : « salle de shoot », du dispositif de santé publique au problème local : étude des discours d’opposition à la salle de consommation à moindre risque pour usagers de drogues de Paris » 160 pages au total.

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