Frédéric Pierrot, le psychologue de la série « En thérapie ».
Frédéric Pierrot, le psychologue de la série « En thérapie ».

Vécu traumatique et usage de drogues : Entretien avec un Psychologue (part. 1/6)

Publié le 17 juin 2024 par Maxime

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Cet article parle de : #sante-mentale

Partie 1/6 – Avec qui et de quoi on parle ?

Aujourd’hui on vous partage la première partie d’un entretien passionnant que nous avons réalisé avec le psychologue Laurent Weber. Nous avons longuement discuté avec lui du traumatisme, du psychotrauma, des conduites addictives et de la dissociation. Découpé en 6 épisodes, afin d’en faciliter la lecture, nous mettrons en ligne chaque lundi à 8 heures pendant six semaines. On espère que vous apprécierez autant que nous ce temps d’échange.


Q. Est-ce que tu veux te présenter, ton parcours, ton pédigrée, que les gens puissent savoir qui tu es et d’où vient ta parole ?

R. Ah, c’est rigolo que tu dises ça comme ça. D’où vient ma parole ? De mon vécu familial, de mon enfance !

Eh bien, je m’appelle Laurent Weber, j’ai 49 ans, je suis psychologue. Depuis dix-neuf ans. J’ai repris des études sur le tard, à 25 ans. Je n’ai pas le bac, j’ai arrêté l’année de terminale. J’ai fait plein de trucs super en entreprise, et puis dans l’humanitaire, pendant sept ou huit ans. Et puis un jour, je me suis dit que j’avais envie de devenir psychologue. Alors j’ai écrit un petit dossier de 10 pages à la fac d’Aix-en-Provence et j’ai dit « voilà moi j’ai pas le bac mais j’veux bien reprendre des études en psycho » et ils m’ont dit « ben d’accord, c’est super ». Donc ils m’ont envoyé un petit diplôme, le premier de ma vie, enfin ce n’était pas vraiment un diplôme mais ça avait l’air d’un diplôme sur lequel il y avait écrit « dispense du bac ». Donc j’ai fait mes cinq années puis j’ai fait deux thèses que je n’ai jamais soutenues. Une sur le groupe et la deuxième sur le trauma et la dissociation. Plus précisément, sur la dissociation et le passage à l’acte violent.

Donc, moi j’ai été formé à la fac d’Aix, dans un labo un peu « à deux têtes ». Une tête qui porte la dimension, comme on dit aujourd’hui, psycho-intégrative, c’est-à-dire qui embrasse les différents champs disciplinaires en psychologie clinique : la psychologie humaniste, systémique, comportementale, psychanalytique… enfin voilà, ils brassent large. 

Et une autre tête, qui est principalement psychanalytique. J’ai donc été formé dans ce labo « psychopathologie clinique et psychanalyse » et ensuite, j’ai enseigné quatre ans dans l’autre labo, cours en amphi et TD, sur le psychotrauma d’une part, et sur les dispositifs thérapeutiques d’autre part.

J’ai deux sujets de recherches : trauma & dissociation, et les dispositifs thérapeutiques, c’est-à-dire tout ce qui est psychothérapie institutionnelle, communauté thérapeutique… Comment peut-on créer des environnements un peu plus intelligents que ceux qui sont là, parmi nous, depuis notre plus tendre enfance souvent ? Comment peut-on créer un environnement pour que l’être humain se déploie dans sa diversité et que tout le monde ait sa place et se fasse de manière naturelle et intelligente ? Là où les institutions, c’est pas du tout ça aujourd’hui.

Les institutions, quand on va bien : tout le monde s’en sort. Mais à l’école, il y a des gamins qui ne s’en sortent pas par exemple. Et dans les institutions de soin, c’est la même chose, la bêtise, la violence et l’exclusion devraient être des sujets à traiter, ce qui s’y produit assez souvent n’est pas acceptable. Donc voilà mes deux dadas. 

Merci pour ce beau résumé. Alors aujourd’hui, on parle de vécu traumatique, de traumatisme, de dissociation et de dépendance, parce que tu n’aimes pas le terme addiction ? 

En effet, mais même celui de dépendance, je ne l’aime pas. J’ai découvert assez tôt, dans ma vie familiale en fait, que les gens n’étaient pas tant addicts ou dépendants parce que le cerveau, la société, les produits, machin, bidule, etc., mais surtout parce qu’ils étaient en galère avec la gestion de ce qui se passe pour eux, de leurs émotions, de ce qui se passe pour eux intérieurement, dans leur corps et dans leur tête. Et comme toutes les fois où l’être humain est confronté à « c’est le bordel dans mon corps, dans ma tête, dans ma vie », il essaye de trouver un produit pour retrouver un peu de confort. 

Pour moi, les produits sont pour beaucoup de gens d’abord des SOLUTIONS. Ensuite ça se complique, hors de question de le nier, les produits prennent de la place, souvent trop de place, qu’il s’agisse de drogue, d’alcool ou de médicaments. Mais c’est d’abord une solution et je pense que ça se complique parce que c’est mal compris, notamment par les soignants. L’environnement, la famille on n’en parle pas, ce n’est pas leur job. Mais ceux dont c’est le job ne comprennent souvent pas grand-chose à cette affaire. Et du coup, ils complexifient à leur tour ! Ils complexifient en proposant de faire des cures, en parlant du produit, des mécanismes de ceci, de la dose d’alcool, du cerveau, etc. Alors que l’abstinence, ce n’est pas pour tout le monde ! Je pense qu’il y a avant tout quelqu’un qui est en galère avec ses états internes, qui utilise un produit légal ou illégal pour survivre psychiquement, pour retrouver des moments de tranquillité. Bien entendu, ces moments de tranquillité ne suffisent parfois pas. Il faut alors les multiplier, il faut en trouver d’autres, il faut les bons produits pour tranquilliser les bons éprouvés et là, une machine très complexe se met en route et ça devient le bordel. 

Mais qu’on nomme ça « addiction » ou « dépendance »… Pour moi, ce sont juste les effets négatifs de choses qui n’ont pas été bien traitées par le milieu médical. 

Par exemple, les deux fédérations addiction (FA et FFA, ndlr) en France n’ont intégré à leurs programmes de formation la question de psychotrauma que depuis deux ou trois ans, je pense. Pourtant, une des réponses essentielles se trouve là, dans le traitement des traumatismes et de leurs effets sur la vie psychique. « Addiction », « dépendance », « pathologie cérébrale », « déséquilibre du fonctionnement neurobiologique », et j’en passe et des meilleures ! Et si tout ça n’était que des « constats », des « symptômes », des « effets » de causes plus complexes, qui trouvent leurs ressorts dans les vécus traumatiques et la manière dont nos sociétés les entend ?

Avant : « On n’est pas sûr que cela ait un lien… »

Avant, on va vous expliquer ce que c’est une dose d’alcool. « Oui ! Sachez que dans un verre de whisky, il y a la même dose d’alcool que dans un verre de bière… »

Oui, ce genre d’indication a de l’intérêt en population générale pour conscientiser les usages quand on n’a pas encore de problème avec ses consos. Pour avoir des billes. 

Oui.

Donc pour toi, la dépendance ou l’addiction serait un effet secondaire d’une automédication à des substances quelconque ? 

Clairement.

C’est intéressant.

Et automédication ou médication tout court ! Parce que tu vas voir ton médecin, tu lui dis que tu as des angoisses, et souvent, il ne cherche même pas, il te fait plonger dans le produit direct ! « Bah on va prendre un petit anxiolytique hein, alors quand vous commencerez à en prendre 20 par jour, vous reviendrez me voir et on verra. » Je suis très critique, je dois l’admettre, mais ça manque tellement de formation sur le trauma que même des soignants très intelligents passent à côté de l’essentiel, c’est ce qui est inquiétant, je trouve. 

On attend que vous ayez un vrai problème de conso pour nous intéresser à vous. Là, vous avez juste « un problème »…

Exactement ! Qu’on risque de traiter sans s’intéresser au problème, CE QUI RENFORCE LA PROBLÉMATIQUE. Alors que si quelqu’un vient, dit qu’il a mal au ventre, qu’il a des pensées qui l’obsèdent, qui fait des crises d’angoisse sans rien comprendre, etc., eh bien avant même de prescrire quoi que ce soit, on devrait poser des question « douces », explorer la dimension du mal-être, de l’angoisse, de vécus traumatiques potentiels. 

« Depuis quand vous avez ça ? Est-ce que vous faites le lien avec des choses perturbantes du passé, etc. ? Je peux vous rassurer, mais si ça vous échappe trop, vous pouvez aller voir un thérapeute. En attendant, je peux vous prescrire quelque chose, ça ne sera peut-être pas largement suffisant, mais je comprends que vous ayez besoin de retrouver du confort. »

Et je ne crache pas dessus, hein, je respecte tous les produits. Mais à cause de cela, d’automédications trop sauvages ou de prescriptions trop rapides, la « vraie cause », on ne la traite pas du tout. Et du coup, c’est presque le monde qui vous rend dépendant à un système de pensée plus qu’à un produit. La logique de faire taire les symptômes et c’est tout est inacceptable, je trouve. 

« Si vous avez mal au dos, y’a moyen que vous ayez peut-être un nerf pincé » et pas juste « on va vous donner des antidouleurs ».

Exactement. 

 

La deuxième partie de cet entretien sera mise en ligne ici même à 8h lundi matin.

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