
Sortie le 13 avril sur Netflix et recensant plus de 66 millions de téléspectateurs en quinze jours, la série Britannique Adolescence déchaîne les foules et enflamme le débat politique, même dans les plus hautes instances de l’État.
THÉMATIQUES GLAÇANTES MAIS TRISTEMENT D’ACTUALITÉ
Inspirée de faits réels, à savoir d’une vague de violences et de meurtres au couteau de jeunes filles par des adolescents en Grande-Bretagne ces dix dernières années, la série, très intense, se penche sur l’intimité d’une famille d’apparence tranquille qui bascule dans la sidération et le chaos quand elle se retrouve au cœur d’un drame. Lors du tout premier épisode, leur fils de 13 ans, Jamie, se fait interpeller en pleine nuit à leur domicile, suspecté du meurtre d’une de ses camarades de classe.
Une enquête s’ouvre dans laquelle la police ira pousser les portes du lycée pour tenter de déceler des indices et mettra en lumière une fracture générationnelle où les réseaux sociaux occupent une place bien particulière, avec des codes et des significations qui leur sont propres. La famille de l’adolescent, choquée et ne croyant pas une seconde à la culpabilité de leur fils, plonge dans la tourmente. L’enquête et le procès à suivre se retrouvent rapidement relégués au second plan pour laisser place aux émotions des personnages et au cataclysme qui les ébranle.
On salue la performance exceptionnelle des acteurices, qui se sont prêté.es avec talent au parti pris risqué des réalisateurs de tourner l’intégralité de la série en plans-séquences, renforçant encore le caractère cru du feuilleton.
La série se penche avec un réalisme poignant sur des thématiques glaçantes mais tristement d’actualité. Risques psychosociaux liés aux réseaux sociaux, isolement, violence, harcèlement, profs dépassés, système éducatif à bout de course, autant de sujets abordés brillamment par cette série, au point de susciter un vif débat au Royaume-Uni, qui compte s’atteler à sa diffusion dans les collèges et lycées. Cette dynamique semble se répandre dans divers pays d’Europe qui l’envisagent également, comme les Pays-Bas ou la Flandre en Belgique. En France en revanche, pas de ça chez nous pour Élisabeth Borne, ministre de l’Éducation, interpellée sur son possible visionnage dans les classes, sous prétexte « qu’on a aussi de bonnes séries françaises ». Reste à présent à savoir lesquelles.
RÉSEAUX SOCIAUX, UN TERRAIN FERTILE POUR LA DÉRIVE
Sur les réseaux sociaux, les contrôles sont peu, voire pas, efficaces, et les politiques de modération souvent complaisantes en ce qui concerne des contenus problématiques. À l’heure où Elon Musk contrôle X à grands renforts de discours discriminants et réactionnaires, ce sont des paroles masculinistes débridées qui tiennent le haut des débats. Dans sa lignée, Mark Zuckerberg, PDG de Meta, enclenche une politique anti-woke et anti-féministe, tenant même lors de ses sorties presses diverses des propos masculinistes dans le plus grand des calmes « Cette espèce d’énergie masculine est positive. Elle est partout dans la société, mais le monde de l’entreprise est comme culturellement émasculé. Je crois aux mérites d’une culture qui valorise un peu plus l’agressivité… ».
De manière assez évidente, nombre de réseaux n’apparaissent pas comme des safe places, et pire, ils deviennent un lieu de radicalisation et d’embrigadement en ligne pour la « manosphère » et n’agissent pas uniquement comme des outils de propagande mais se font aussi illusion de lien social et de compréhension pour des jeunes garçons en souffrance. Avec des algorithmes qui captent l’attention et entretiennent l’anxiété, mais aussi la comparaison permanente et en finalité, la haine, là où il est difficile de construire une image de soi stable à l’ère numérique.
La série démontre comment la violence misogyne devient une réponse perçue comme « légitime » à une souffrance réelle mais mal canalisée et accompagnée. C’est ainsi que se développent les « incels », quand l’isolement glisse insidieusement vers la haine.
Au milieu de tout cela, les ados se retrouvent vite noyés sous des flots d’informations, avec un manque criant d’espaces de dialogue et notamment une absence d’éducation critique aux médias, où la question des émotions chez les garçons demeure tabou. Prendre soin de sa santé mentale n’apparaît pas comme une évidence, voire se retrouve dévalorisé, avec des injonctions contradictoires pour les filles et les personnes queers. La fracture se creuse encore.
LE NUMÉRIQUE, FACTEUR AGGRAVANT DE CES FRAGILITÉS
Les risques psychosociaux liés aux réseaux comme l’anxiété, la dépression, le repli, les troubles du comportement et l’exposition à certains discours font également courir le risque de souffrance mentale. Absolument pas considérée, elle s’illustre comme une énorme faille dans la prise en charge où aucune éducation numérique n’est faite dans le cadre scolaire, où l’absence de repères émotionnels est monnaie courante, le manque de lieux où déposer le mal-être adolescent criant, avec l’invisibilisation du soin psychique pour les garçons. La série dépeint un parallèle fort entre cette négligence du soin mental et la montée des discours virilistes qui apportent un « remède » à cette fragilité où l’angle santé mentale devient central en démontrant comment un mal-être adolescent avec la solitude, la mésestime de soi, le sentiment d’injustice et l’angoisse constitue un terrain de recrutement pour l’idéologie masculiniste.
Adolescence évite les clichés et donne à voir la complexité des trajectoires dans un univers de violence où les adultes sont dépassés, absents, ou parfois complices malgré eux. Où l’on sort également des prototypes de l’ado instable qui bascule dans la criminalité : Jamie ne sort pas d’une famille “à problèmes”, ses parents ne sont pas violents, alcooliques, désintéressés, maltraitants. Juste à 1000 lieux de savoir que leur enfant isolé qui sort peu de sa chambre est en fait en pleine radicalisation masculiniste. Terrifiant, glaçant, édifiant.