La série raconte l’ascension fulgurante de la marque de e-cigarettes Juul, puis sa chute brutale. On y suit les débuts des deux créateurs, fraîchement diplômés de l’université de Stanford et bien décidés à révolutionner le monde de la tech.
Leur ambition ? Imaginer un objet qui conserverait certaines caractéristiques de la cigarette, dont son aspect social et la délivrance de nicotine, tout en évacuant le plus gros problème : la fumée qu’elle génère, et donc, la combustion. L’ambition affichée paraît noble : sauver la vie de millions de fumeurs en leur proposant un produit alternatif et sans risque. Malheureusement, quand on laisse des problématiques de santé publique aux mains des capitalistes, on génère souvent plus de problèmes qu’on en résout. Ici, la question se pose rapidement : l’objectif est-il d’aider les gens à arrêter de fumer ou de les faire commencer à utiliser Juul ?
La mini-série est très intéressante, elle interroge un grand nombre de protagonistes et offre une large diversité de points de vue. L’affaire est plus complexe qu’elle n’y paraît et soulève de nombreuses interrogations.
Dès le départ, la « mission » de James Monsees et Adam Bowen se heurte aux exigences des investisseurs : il faut vendre beaucoup et très vite. Petit à petit, la cible première (les fumeurs) est évacuée des campagnes au profit d’une cible plus jeune et plus rentable. La Juul veut surfer sur la tendance life style et être l’image même de la vape cool, un objet luxueux et sophistiqué à la manière d’un produit Apple. Aux États-Unis, l’entreprise a donc connu une croissance rapide, mais ce qui a aidé certains adultes à arrêter de fumer a entraîné des milliers de jeunes dans l’addiction à la nicotine.
Plus tard, des capsules frelatées de THC contenant de la vitamine E envoient plusieurs jeunes à l’hôpital dont certains décèdent. Les capsules ne sont donc pas produites par l’entreprise elle-même, mais le mal est fait : Juul est définitivement associée au scandale sanitaire.
Un outil de sevrage tabagique ?
Juul finit par vendre une partie de ses parts à une grosse industrie du tabac, qui y voit une manière de compenser la diminution des ventes de cigarettes. On voit donc que l’objectif initial est complètement dévoyé par les logiques commerciales qui poussent à vendre un produit ultra marketé à des jeunes, initialement peu intéressés par le tabac, étendant ainsi l’emprise des cigarettiers sur une nouvelle cible. Malgré les efforts de Juul pour inverser la tendance et repenser leur stratégie de vente, la viralité du produit les dépasse et ils finissent par être poursuivis en justice par plusieurs États américains.
Pour résumer, on pourrait affirmer que James Monsees et Adam Bowen ont commis une grave erreur de jugement en considérant la nicotine comme un problème pouvant être résolu par l’industrie de la tech plutôt que par des initiatives de santé publique. En effet, un outil de sevrage tabagique, pour atteindre son objectif, doit être pensé et porté par des acteurs de santé, plutôt que par des entrepreneurs de la Silicon Valley. Sans quoi, le résultat sera très probablement l’enrichissement de quelques-uns plutôt que le bénéfice de tous.
Big Vape : La chute de Juul, géant de l’e-cigarette est une mini-série documentaire américaine réalisée par R. J Cutler, sortie en 2023 sur Netflix.
