José Luis Manzano dans le film EL PICO de Eloy De La Iglesia
José Luis Manzano dans le film EL PICO de Eloy De La Iglesia

El Pico – L’enfer de LA DROGUE

Publié le 16 octobre 2024 par Maxime

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Cet article parle de : #injection #culture #fictions #films #drama

Un film vieillot qui, malgré des choix artistiques datés, propose une vision intéressante d’une problématique qui a été majeure dans les années 1980. On parle de l’épidémie d’héroïne, bien sûr.

 

El Pico, alias Overdose (dans la langue de Kamala Harris) ou encore L’enfer de la drogue / Dose mortelle (chez nous) est un film espagnol sorti en 1983 qui aborde (comme son nom ne l’indique pas clairement) la dépendance à l’héroïne. Il est réalisé par Eloy De La Iglesia et porté par deux jeunes acteurs : José Luis Manzano et José Manuel Cervino. 

Le film raconte l’histoire de deux garçons aux alentours de leurs 18 ans, au début des années 80 à Bilbao. L’un, Paco, est fils d’un commandant de la garde civile ; l’autre, Urko, est fils d’un politicien socialiste. Après les cours, ils se rendent chez leur copine Betty (une jeune femme indépendante qui se prostitue) et sniffent de l’héroïne. Un jour comme un autre, ils tentent l’injection. Ensuite, c’est du petit trafic, plutôt fructueux, qui permet de glaner sa propre conso à peu de frais. On y rencontre un dealeur (ripou) violent avec sa compagne (enceinte et qui continue à s’injecter) ; un artiste homosexuel bienveillant et la famille de Paco sa mère mourante et ses sœurs). 

Succès public et critique 

Le film a été un banger à sa sortie, et a joui d’un tel succès qu’une suite a vu le jour (nous vous en parlerons la semaine prochaine). Au boxoffice, c’est plus d’un million de dollars ! Le film s’inscrit dans le genre cinématographique du ciné quinqui, un genre de cinéma social proche des réalités sociales les plus crues et notamment des foyers les plus modestes. Peu de fantaisie, des films tournés au ras du sol avec des personnes directement concernées précipitées acteurs professionnels. L’œuvre du réalisateur s’intéresse particulièrement aux homosexuels, aux drogués et aux milieux interlopes (dont l’activité n’est pas légale / d’apparence suspecte). Une piste d’explication s’il en fallait une : il était lui-même concerné. 

 

Le début du métrage est peu engageant (on pense à la scène de deal à la sortie de l’école) mais assez rapidement, la crainte de regarder un navet prohibitionniste bien tranché diminue.  

Quarante ans après sa sortie, la grille de lecture que nous avons en regardant le film est bien sûr très différente de celle d’alors. Néanmoins, nous avons pu noter plusieurs choses limpides aujourd’hui qui n’ont peut-être pas été une évidence à l’époque. 

 

L’autoritarisme (inefficace) du patriarche en dépit duquel, malgré un certain aplomb, le Commandante de la Guardia Civil n’a aucun contrôle sur la situation de son fils. Pire encore, on est tenté de penser que certains de ses comportements encouragent (ou du moins) facilitent les mésaventures de son fils. Stocker un flingue, des cartouches, ainsi que des ampoules d’antidouleurs dans une bête armoire de famille sont autant de faux pas sans lesquels le film aurait été moins dramatique.

 

Le portrait tendre d’un homosexuel amoureux qui est puissament attaché a Paco mais réprouve son usage de drogues dures. Alors que Paco, acculé, quitte le foyer familial, il le recueille et l’aide à se sevrer. Et cela, sans attendre de contreparties, quelles qu’elles soient. D’ailleurs, la scène de leur séparation est touchante car la mise en scène dépouillée illustre un dialogue clair comme de l’eau de roche sur la nature du sentiment amoureux, de l’attachement et de la sexualité.  

 

L’illustration parfaite de l’usager revendeur. Assez rapidement en galère de thunes, Paco et Urko se mettent à vendre pour le compte du Boiteux. Pour une paie de misère, à peine un gramme pour plusieurs milliers de pesetas vendus. Le trafiquant justifie cette rémunération ridicule en sous-entendant que ces deux jeunes vendeurs se sont servis sur la marchandise destinée aux clients. Le trafic, ce monde d’argent facile où l’on est exploitable, corvéable et endossable à merci. 

 

La méconnaissance générale et dangereuse des principes de réduction des risques.

Les billets de banque s’échangent pour sniffer la blanche tout autant que les seringues se partagent. N’oublions pas non plus l’étape de préparation dans une cuiller à café et la filtration à l’aide d’un morceau de filtre à cigarette. Ces pratiques, qui feraient aujourd’hui bondir les professionel·les de santé, sont pourtant au plus près de la réalité des usages d’une époque où les connaissances (qui n’en n’étaient pas là où elles sont aujourd’hui) ne se diffusaient pas aussi facilement qu’actuellement et où l’accès à du matériel d’injection stérile était impossible. 

Le film semble faire l’économie du VIH (un problème à la fois ?). Cela s’explique très simplement : le film est sorti en 1983. Le sida était encore sous couverture et à cette époque, ceux qui en parlaient le désignait de Cancer Gay. Le lien avec l’injection, le partage de matériel et les modes de transmission n’était donc pas encore établi. 

Dans l’article « ESPAGNE. La Rosilla, ghetto des toxicomanes » (malheureusement réservé aux abonnée·es), Courrier International rapporte que les seringues usagées font l’objet d’une (pas si) étonnante économie circulaire : « Une seringue usagée récupérée dans une poubelle est revendue 25 pesetas par les machacas aux gros trafiquants, qui, à leur tour, les revendent. » 

En revanche, on a droit à une surdose d’héroïne et gros plan. En parlant de surdose mortelle, il est à noter que l’acteur qui incarne Paco (plus vrai que nature) est décédé 7 ans après la sortie du film. Quand on parle de réalisme…

El Pico est un film espagnol de 110 minutes, actuellement disponible sur la plateforme de streaming français Filmo. On vous encourage à le regarder si vous voulez changer un peu de la vision grandiloquente et spectaculaire qu’Hollywood pose sur la jeunesse et l’usage de drogue.

 

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