« Fille d’alcoolo » est un roman graphique de 192 pages écrit par Camilla Gallapia, sorti en 2023 aux éditions Larousse.
Dans ce livre très émouvant et très rapide à lire, l’autrice aborde à la fois sa relation avec sa maman et celle qu’entretenait sa maman avec l’alcool. À l’occasion de son quarantième anniversaire, Camilla se demande qui était sa mère au même âge. Était-elle encore Elle ? Pour mieux comprendre en emmenant son lectorat avec elle, l’autrice revient sur ses grands-parents, leur rencontre, leur contexte familial, la naissance de sa mère et de ses tantes. L’enfance de sa mère avec ses trois sœurs et l’impact de l’adolescence sur ses relations avec ses parents. Premier amour, rupture familiale, exil, retour, débrouille et finalement création de son propre foyer familial.
À partir de là, les souvenirs se mêlent au récit général et on bascule doucement vers le témoignage d’une enfant qui a grandi sans mère. Mais, heureusement, au sein d’une famille qui se serre les coudes et dont les membres restent présents les uns pour les autres. La solidarité familiale qui est racontée est d’ailleurs vraiment touchante ; comme l’ensemble du livre qui pose des mots simples sur des situations compliquées. En décortiquant des situations malheureuses mais tristement banales, l’autrice fait un formidable travail de médiation et d’information sur les conséquences (et les racines) de l’alcoolisme en famille et ses répercussions sur le foyer tout entier ; mais aussi sur les enfants.
Le livre est quasi intégralement en nuances de gris, une ambiance qu’on pourrait craindre très sombre mais qui ne l’est finalement pas tant. De nombreux moments heureux sont quand même racontés et si cela émeut fort, ça ne plombe pas. Les dessins sont clairs et lisibles, les personnages sont bien reconnaissables d’une case à l’autre et, même si on n’est pas sur des dessins remarquablement mémorables, la direction artistique de l’ensemble fonctionne parfaitement. On s’y retrouve. On y voit aussi beaucoup de douceur, de pardon et d’amour. Cette maman est loin d’être décrite comme une marâtre ou une source de problèmes. Sa solitude et son enfermement au sein du pavillon familial sont longuement décrits et sa santé mentale l’est aussi avec soin.
Malgré l’alcoolodépendance, leur maman les aimait
L’autrice précise d’ailleurs lors d’une interview pour La voix du Nord qu’elle et sa sœur n’ont jamais été en danger, jamais victimes de violences intra-familiales et que leurs besoins étaient assurés par leur papa, et que malgré la maladie, l’alcoolodépendance, leur maman les aimait. À cette même occasion, elle déclare également :
« Cet ouvrage est issu de vingt-cinq années d’introspection sur mon histoire familiale. Pendant toutes ces années, je n’ai que très peu parlé de la maladie de ma mère autour de moi… En revanche, on en parle beaucoup avec ma sœur : on décortique, on complète les souvenirs de l’une ou de l’autre. Bref, toutes ces réflexions m’ont amenée à une révélation… Pourquoi est-ce que je continuais d’avoir aussi honte de mon passé ? Pourquoi me hantait-il, alors que cette histoire était vieille de trente ans et que ma mère est décédée il y a près de vingt ans ? J’ai réalisé que j’étais otage d’une histoire dont je n’étais en rien responsable. En plus d’avoir été victime de la maladie de ma mère, je portais le double fardeau de la culpabilité et de la honte. »
La culpabilité et la honte sont vecteurs de silences et d’isolement. Dans un long article, issu de la revue Thérapie familiale (2004), centré sur la dépendance des parents et le développement des enfants, le psychologue Jean-François Croissant détaille l’impact de l’addiction du ou des parents dans le développement de l’enfant. Un article dont on vous conseille la lecture si le sujet vous touche, et qui forme un complément idéal à la lecture du livre.
Une autre mère lorsqu’elle boit
Plusieurs fois, l’autrice parle de sa mère et de l’autre. Celle qui prend la place de sa maman lorsqu’elle boit. Hagarde, éteinte, vitreuse, somnolente… Elle explique qu’après un temps, celle-ci avait quasiment remplacé la première. Cela pose la question des troubles de la personnalité, de la santé mentale et de la prise en charge psychiatrique au secours des personnes qui ont un problème avec l’alcool ou qui sont alcoolodépendantes. Si le sujet des troubles de la personnalité vous intéresse, vous pouvez consulter le dossier qui y est consacré sur le site MSD Manuals. L’alcoolisme maternel est expliqué de plusieurs manières mais un des facteurs qui revient le plus est la solitude. La solitude d’être « condamnée » à jouer un rôle de ménagère, économiquement dépendante dans un pavillon d’une banlieue résidentielle, petit à petit guidée vers le goulot.
Il serait intéressant de savoir combien de jeunes adultes usagers de drogues ayant parfois des comportements à risques « inexplicables » ont grandi dans des contextes similaires à celui raconté par cet ouvrage. Enfants performatifs, mutiques, timides, turbulents, hors contrôle, colériques ou agressifs sont autant de signes, de pistes qui mènent parfois à la dépendance d’un ou de l’autre ou des deux parents. Des situations qui marquent durablement et parfois conditionnent des enfants dans des rôles qui ne sont pas les leurs.
https://www.youtube.com/watch?v=RqOEdZhympM
https://www.liseuse-hachette.fr/?ean=9782036045293
https://www.babelio.com/livres/Gallapia-Fille-dalcoolo/1517280
https://www.cairn.info/revue-therapie-familiale-2004-4-page-543.htm