Maria pleine de grâce est un film coproduit par les États-Unis, l’Équateur et la Colombie, réalisé par Joshua Marston, sorti en 2004.
70 boulettes de cocaïne
Maria est une jeune femme d’une petite ville près de Bogota. Elle mène une vie tranquille mais modeste, occupée par son job dans une usine de conditionnement de fleurs coupées, son foyer qu’elle partage avec sa mère, sa sœur et la fille de celle-ci. Un jour, elle découvre qu’elle est enceinte de 3 mois de son amant Juan. Un jour, elle envoie chier son responsable à l’usine qui lui refuse une pause pipi. Maria est forte, libre et ne se laisse pas emmerder par les garçons, même s’ils sont au-dessus d’elle dans la hiérarchie. De fait, elle perd son job.
Comme elle était la seule à subvenir aux besoins de la cellule familiale, elle subit les réprimandes de rigueur et la pression à retrouver vite quelque chose. Maria envoie balader tout ce beau monde et fait la connaissance de Franklin, qui lui propose une solution rapide et efficace pour s’enrichir : faire la mule. Dans un premier temps hésitante, Maria finit par être convaincue par d’autres femmes qui ont déjà tenté l’expérience. Pour l’équivalent de plusieurs mois de salaires colombiens et une semaine de vacances aux USA, Maria accepte d’avaler 70 boulettes de cocaïne.
Le film prend alors le temps de nous montrer comment le communautaire prend fait et cause dans ce business. Les filles s’entraident, s’entraînent à avaler tout rond d’énorme grain de raisins, se partagent des pro tips, etc. Au service d’un marché capitaliste agressif et illégal qui se sert du désarroi de jeunes femmes en prétendant participer à leur émancipation. D’ailleurs, si le propos du film est toujours aussi pertinent vingt ans après sa sortie, il est intéressant de noter que ce sont surtout des individus masculins qui sont interceptés en tant que mules entre la Guyane et la métropole.
Le film a le (très) bon goût de nous épargner les figures de style typiquement cinématographiques : pas de musique émotionnelle, pas de ralentis, pas d’éclairages stylisés. Rien qui puisse participer à rendre beaux des faits qui sont sordides. Il y a ainsi une impression presque documentaire, la caméra n’est jamais loin des personnages, les cadres choisis induisent une forme de proximité avec les personnages et particulièrement Maria.
Nombreux mécanismes mis en lumière
Malgré sa nature de fiction, le film dépeint de nombreux mécanismes d’emprise, permis par la pauvreté. Rien de nouveau sous le soleil. Un regard cru est aussi posé sur plusieurs situations vécues par les mules et les questionnements associés :
- Comment avaler de si grosses boulettes de cocaïne sans vomir ?
- Comment s’assurer qu’une fois qu’on aura commencé à gober les boulettes, on arrive à en avaler 70 ?
- Comment éviter de trop stresser dans l’aéroport alors que les autorités cherchent spécifiquement les mules qu’ils savent être souvent jeunes, désœuvrées et avares en détails sur leur destination ?
- Comment ne pas être flag en reconnaissant des collègues qui elles aussi font la mule dans le même avion ?
- Comment ne pas être prise d’angoisse en réalisant que plusieurs mules sont prévues par avion avec la certitude qu’au moins une d’entre elles se fera attraper et permettra le passage des autres ?
- Que faire si une boulette ressort trop tôt, par exemple en plein vol ?
- Que faire, sachant qu’en cas de marchandise manquante à l’arrivée, il y aura des conséquences physiques pour soi ou la famille restée au pays ?
- Comment gérer le stress relatif à la drogue quand on doit aussi gérer le stress de l’avion et de l’arrivée dans un nouveau pays ?
- Comment être sûre de suivre la bonne personne en sortant de l’avion ?
- Comment vivre l’enfermement à l’hôtel en attendant la sortie des boulettes ?
- Comment vivre le fait de devoir nettoyer les boulettes après le vol ?
- Comment être sûre d’obtenir l’argent ?
- Comment être sûre de pouvoir rentrer chez soi ?
- Que se passe-t-il si une boulette s’ouvre pendant le transport ? (C’est l’overdose fatale instantanée).
Que deviennent les mules ?
Faire la mule, ce n’est pas un fantasme de réalisateur en mal de sensationnalisme. Faire la mule ne concerne pas seulement les jeunes femmes, faire la mule ne se circonscrit pas au territoire des USA. La cocaïne (et les drogues en général) trempe dans le trafic humain à grande échelle. C’est une des choses à garder en tête avant de consommer ou de commander ou même de proposer à quelqu’un qui n’a jamais essayé ou qui souhaite arrêter.
Sur le sol français par exemple, des contrôles systématiques ont été mis en place avant le décollage depuis l’automne 2022 à l’aéroport de Cayenne en Guyane. Plus de 900 passagers contrôlés par jour ont mis du plomb dans l’aile au trafic qui utilisait les mules. Entre le 1er novembre 2022 et le 13 mars 2023, pas moins de 7 300 personnes n’ont pas pu embarquer. Soit 55 personnes par jour pendant les 132 jours qui séparent ces deux dates. Il est évident qu’on ne peut pas systématiquement mettre en prison 50 personnes par jour, chaque jour. On peut même simplement imaginer la charge que cela représente pour le système pénitentiaire local.
On est alors en droit de se demander ce qu’il advient de ces personnes. Sont-elles gardées en détention provisoire le temps que la drogue ressorte ? Quelles peines judiciaires ? Quel impact sur leur vie ? Quel sort leur réservent les trafiquants quand ils apprennent que la marchandise est perdue ? Dans un article sobrement intitulé « Pas de poursuite à moins d’1,5 kg de cocaïne : en Guyane, la justice capitule en rase campagne ? », le journal Marianne s’émeut qu’on laisse partir les mules à peu de frais. L’article (bien à droite, évidemment) pointe une inégalité face à la justice française selon que la mule soit interceptée au départ ou à l’arrivée : « En région parisienne, on a l’habitude de dire : “Un kilo, un an”. Là, selon que la mule se fasse attraper avant de monter dans l’avion ou après, elle n’est pas poursuivie ou elle va directement en prison. Il y a tout de même un problème d’égalité des citoyens devant la justice », raconte l’avocate pénaliste Marie Dosé sans jamais se dire que c’est la procédure guyanaise qu’il faudrait systématiser plutôt que l’incarcération.
Plus victimes que coupables
Heureusement, dans le même article, la parole est donnée à Kim Reuflet, présidente du Syndicat de la magistrature, qui défend que « La répression ne peut pas être l’alpha et l’oméga de la lutte contre la drogue,. Si on regarde cette directive pénale, c’est une gestion pragmatique de ce à quoi le procureur doit être confronté en Guyane. Il met la priorité sur la lutte contre les réseaux, et pas sur la lutte contre les mules. Les mettre en prison pour faire diminuer le trafic, ça n’a jamais marché, sinon on le saurait depuis un moment. Nous soutenons depuis toujours que ces personnes sont les victimes plus que les coupables du trafic de stupéfiants. Ce sont des personnes exploitées du fait de la misère. Il faudrait que ces jeunes femmes trouvent d’autres moyens de gagner de l’argent. »
Bref, tout cela pour dire que parler du phénomène des mules sans aborder les conditions de vie des personnes concernées et sans questionner les raisons qui poussent des personnes à mettre leur vie et leur liberté en danger, c’est choisir de ne voir que la moitié du problème. Traiter les symptômes sans s’intéresser aux causes qui les génèrent. Ah oui, et le film est top ! Il a même gagné le grand prix du Festival du cinéma américain de Deauville en 2004, notamment face à Eternal Sunshine of the Spotless Mind de Michel Gondry. Il a également raflé le prix du public et le prix de la critique internationale.
Pour lire d’autres avis
Pour lire la critique du site Ecranlarge : https://www.ecranlarge.com/films/critique/894915-critique-maria-pleine-de-grace
Les secrets de tournages d’Allociné : https://www.allocine.fr/film/fichefilm-55987/secrets-tournage/
Un dossier pédagogique sur le film sur le site belge Les grignoux : https://www.grignoux.be/dossiers/207/
Pour lire la critique du site Abus de ciné : https://www.abusdecine.com/critique/maria-pleine-de-grace/
Pour lire la critique du site Suisse Ciné Feuille : https://www.cine-feuilles.ch/film/1641-maria-pleine-de-grace
Ps : le film est disponible en entier, en Vf gratuitement sur Youtube sur la chaîne de CINE CINE !