
Le réalisateur italien Luca Guadagnino – ouvertement homosexuel – adapte les mémoires hallucinées d’un des écrivains les plus connus de la Beat Generation avec des partis pris esthétiques radicaux. Est-ce qu’on a aimé ?
Honnêtement : on se pose encore la question au moment d’écrire ces lignes.
Au milieu des années 1950, William S. Burroughs (abrégé Lee), quinquagénaire, écluse les établissements de nuit de Mexico. Toujours un pistolet à la ceinture. Entre deux tequilas paf, il croise le regard magnétique d’Eugene qu’il tente de séduire. Sans grand succès dans un premier temps, mais les deux hommes finissent par devenir amants malgré une relation pour le moins déséquilibrée. En trois chapitres et un épilogue, on va suivre les deux garçons à travers leur aventure en Amérique du Sud à la recherche de l’ayahuasca. Ils finiront par trouver la substance et les guides pour un trip cinématographiquement intense. Leur relation trouble évoluera à mesure que les défis se présenteront : crise de manque, mésentente cordiale, et gros trip. C’est cette solitude qui semble cristalliser son désir de « parler sans utiliser de mots », d’accéder à la télépathie grâce à l’ayahuasca.
Le film est très joli à regarder (pour peu qu’on ne soit pas homophobe, bien sûr) et le travail sur les paysages à base de maquettes est formidable. Bien qu’un peu longuet (surtout sur la fin), on en recommande le visionnage. Notamment car il s’agit d’un film qui parle de drogue sans imposer de jugement. La scène d’injection en temps réel donnera des sueurs froides à tous les travailleurs et travailleuses en santé.
UN FILM QUI NE DONNE PAS DU TOUT ENVIE DE SE DROGUER
Daniel Craig trouve ici un rôle à contre-emploi. Exit l’agent 007 qui emballe Léa Seydoux dans Mourir peut attendre ! Il incarne ce qu’on pourrait qualifier de « vieille folle alcoolique et opiomane option viriliste » qui cherche à croquer de la chair fraîche. L’objet de son désir a la petite trentaine mais conserve des traits très juvéniles, le fantasme du Twink n’étant, bien entendu, pas apparu avec Grindr. Les atermoiements de Lee sont terriblement communs et universels – la solitude, la honte, la solitude, le manque, la solitude –, même s’ils s’incarnent dans ce vieux monsieur qui n’a honte de rien. S’il fait une parade nuptiale un peu ridicule au début, sa manière de pister le jeune Eugene est quand même bien dérangeante ; on est même plusieurs fois carrément face à du harcèlement. Quand leur relation devient charnelle, on ne peut pas s’empêcher de tiquer aussi, tant c’est un énorme forceur.
Burroughs – dont on vous parlait déjà dans cet article sur Junky – n’est pas un enfant de chœur. C’est bien difficile d’entrer en empathie avec le personnage. Le film fait plusieurs rappels à un épisode trop peu connu de l’histoire de l’auteur : le meurtre de sa femme. S’il est publié dans les années 1980, Queer est écrit entre 1951 et 1953. En septembre 1951, il tue sa femme d’une balle dans la tête en tentant de reproduire l’exploit de Guillaume Tell avec la pomme et son fils (mais avec un verre). Un crime pour lequel il n’a été que trop légèrement puni. C’est à la suite de cet évènement (et pendant que leur enfant est élevè par ses grands-parents) que Queer prend place. Une connaissance de la chronologie qui nous a peut-être empêchés d’apprécier ces aventures.
Queer est un film de Luca Guadagnino, produit par A24. Adapté du livre éponyme de William Burroughs, il met en scène Daniel Craig et Drew Starkey et dure deux heures et quart.