Un film français touchant au sujet faussement provocateur. Une histoire d’amour impossible simplette mais qui est joliment mise en scène.
La jeune Rosalie (Nadia Tereszkiewicz) est soldée par son père à un tenancier de bar sur le déclin. Lors de la nuit de noces, Abel (Benoît Magimel) découvre que son épouse est recouverte de poils. Pas comme tout le monde : madame est complètement hirsute. Il la repousse aussitôt tandis qu’elle s’occupe à faire revivre le café. Un jour, en parlant de phénomènes de foire avec un client, elle prend le pari de se laisser pousser la barbe pendant un mois. Un mois plus tard, elle est l’attraction de ce petit village ouvrier, sa sympathie et sa gentillesse font d’elle une véritable mascotte. Barcelin (Benjamin Biolay), le grand patron du coin (directeur de l’usine, plus grand donateur de la paroisse, etc.), voit d’un mauvais œil ce débit de boissons susceptible de nuire à la santé de ces précieux employés. Bref, les choses se passent mais un jour que Rosalie décide de capitaliser sur son apparence en vendant des photos d’elle « olé olé » et qu’un accident trouble la vie de l’usine, la tendance s’inverse et on l’accuse alors de débauche et d’empoisonnement. C’est au moment où tout le monde l’accuse qu’Abel se rend compte qu’il s’est attaché à elle et prend sa défense. Pendant quelque temps, elle essaie d’assumer sa différence dans un microcosme qui ne veut pas d’elle puis elle attente à ses jours. Pendant sa convalescence, on la rase et elle trouve alors une apparence moins clivante. Fin.
Santé aux travailleurs !
Un des moyens de pression exercé par la communauté villageoise sur le couple formé par Rosalie et Abel est monétaire. L’argent, c’est le nerf de la guerre, bien sûr. Quoi de mieux que de faire vaciller le modèle économique de son bouc émissaire pour le déstabiliser ? Quand les photos scandaleuses tournent au même moment que l’accident d’usine impliquant Jeanne (Anna Biolay), l’amie de Rosalie, c’est sans tarder qu’on reproche au débit de boissons de faire picoler les ouvriers. Assez vite, à la messe, on décrit les lieux de vice où l’homme de raison se doit d’éviter d’aller pêcher. Le vent tourne alors et l’affaire florissante du couple retourne à l’austérité. Même un peu plus que ça puisque le bar est alors l’objet d’actes de vandalisme.
Barcelin, le grand patron, vient un jour reprocher à la cafetière de nuire à la santé de ses employés. Ce qui, au–delà d’une scène sympathique où la pétulante dame lui rabat bien le caquet, est un non–sens historique. Disons simplement que les droits et la santé des travailleurs n’étaient, à cette époque, pas du tout une priorité. Le film se déroule autour des années 1870. Selon l’article « Les grandes dates de l’histoire du droit du travail », la grève a été tolérée à partir de 1864, la responsabilité patronale lors d’accidents du travail date de 1898, le droit à un repos hebdomadaire de 24 heures consécutives (un week–end) date de 1906, les journée de 8 heures maximum de 1919, et en 1936, on établissait la semaine de 40 heures maximum et des congés payés de 2 semaines par année. Donc, mettre sur le dos du café du coin une erreur de manipulation dans une usine, c’est un peu gros. D’ailleurs, l’ouvrière n’aura de cesse de répéter que ça n’a rien à voir. Ce qui est reproché à ce moment–là à Rosalie, c’est simplement d’exister, notamment par l’église locale. Acharnement total puisqu’en plus Rosalie est pieuse et prie régulièrement Sainte Wilgeforte, la vierge à barbe crucifiée.
Une femme sûre d’elle
L’histoire racontée par le film s’inspire librement de la vie de Clémentine Delait LA femme à barbe des Vosges. Une femme visiblement sûre d’elle qui a assumé sa pilosité jusqu’à sa mort (et même après, son épitaphe étant – à sa demande – « Ici gît Clémentine Delait, la femme à barbe ». À l’inverse de la jeune nymphette décrite dans le film, les photos d’elle montrent une femme costaud qui avait l’air de bien tenir la baraque.
Les médias de droite à l’extrême–droite décrivent un film de propagande wokiste pro trans. Bon, autant vous dire que visiblement, ils n’ont pas pris la peine de regarder le film avant de donner leur avis : ici, la femme, malgré ses poils, veut vivre un amour hétérosexuel et avoir des enfants. Aucun sous-texte homoérotique. Ce n’est pas le propos du film, ç’aurait en plus été bien anachronique. Le poubellier qu’est Boulevard Voltaire (trèèèèèèèèèèès droite) a même titré « Une page de propagande woke supplémentaire ». Lunaire. Il ne se sont pas non plus privés de conclure par « Mais en attendant, osons la question : a-t-on encore le droit de trouver qu’un visage féminin affublé d’une barbe est disgracieux ? »
L’hirsutisme étant un des symptômes d’un dérèglement hormonal causé par une pathologie rare (ici le syndrome des ovaires polykystiques), franchement, qui sont-ils pour poser une telle question ? Est-ce qu’on irait lire dans un article sur De rouille et d’os « une femme cul-de-jatte, c’est moche » ? Un peu de bon sens, mais surtout, un peu de tenue s’il vous plaît.
Le truc qui nous a un peu chagrinés, c’est la différence d’âge (22 ans) entre les deux protagonistes principaux (vous admettrez qu’on a vu plus woke) mais bon, si cela correspond à une réalité historique, alors d’accord. Rosalie est un film franco-belge sorti en 2024 mis en scène par Stéphanie Di Giusto.