Sebastian Silva et Jordan Firstman dans le film Rotting in the sun.
Sebastian Silva et Jordan Firstman dans le film Rotting in the sun.

Rotting in the Sun – Des gays et de la kétamine

Publié le 20 mars 2024 par Maxime

/

Cet article parle de : #sante-mentale #consentement #culture #films

Un film complètement méta sur le vide et la solitude qu’abritent nos existences ultra connectées (on dirait pas, mais c’est drôle en fait).

Sebastian Silva (le réalisateur) joue son propre rôle dans une autofiction qui l‘égratigne sans ménagement. Réalisateur de MASC4MASC triste à mourir, il vit dans l’immeuble d’un ami à lui et partage sa vie entre son chien et sa femme de ménage. Passablement accro à la kétamine et profondément dépressif (avec supplement idée fixe sur le suicide). Un jour, on lui suggère d’aller se dorer la pilule et sucer quelques bites sur une plage naturiste du Mexique. La mort dans l’âme, il suit la prescription et à nous d’avoir les yeux sur un large éventail de pénis non floutés flasques ou en érection

À la suite d’un acte héroïque qui se retourne contre lui, Sebastian manque de peu la noyade, et il est sauvé par l’influenceur Jordan Firstman (lui aussi dans son propre rôle) qui lui propose pêle-mêle de produire un projet de divertissement TV, de baiser et de la drogue avec des degrés d’insistance divers. S’ensuit une scène de fiesta assez glauque, le genre dans laquelle on voudrait pas mettre les pieds, malgré la coolitude du décorum puis un règlement de comptes en bonne et due forme. Retour à la ville pour notre héros qui broie toujours du noir, par le biais d’une visioconference, il propose à Jordan de le rejoindre chez lui pour bosser sur le projet TV. Il demande à Vero, sa dame à tout faire, de l’aider à descendre un canapé entreposé dans un cafoutch sur le toit.

Quand Jordan arrive, Sebas a disparu… La suite du film nous montre Jordan qui cherche son camarade, Vero qui prend une ribambelle de mauvaises décisions et des prises de parole sur les réseaux sociaux, des prises de drogues sans mesure et du sexe débridé. Au milieu, le chien qui adore manger du caca.

 

Suicide & dépression

Tourné caméra à l’épaule, le film lorgne autant vers l’autofiction que vers le documentaire satirique. Mais malgré un humour très noir et corrosif, c’est quand même un portrait questionnant d’un mal-être contemporain qui est mis sous les yeux des spectateurs. Un homme dans une inexplicable tourmente qui tente de se soigner avec des drogues, ça n’a rien de nouveau. C’est même tristement banal, tant la question de la santé mentale à été mise sous le tapis pendant des siècles ! 

D’ailleurs, on peut aisément critiquer la réaction de Mateo, le collègue de Sebas qui raille constamment ses envies suicidaires. C’est plutôt inquiétant que son ami cherche sur Internet le moyen de se supprimer sans douleur, ça l’est encore plus qu’il le trouve ! Il lui conseille entre deux éclats de rire d’aller acheter son précieux pentobarbital et de le boire avec des glaçons. On a fait beaucoup mieux en termes de prévention des risques suicidaires, même s’il est évidemment difficile de faire avec ce genre de confessions. Le site Ameli.fr relève les signes qui doivent alerter d’une imminence de la tentative de suicide :

« Certains comportements peuvent révéler une intention déterminée de se suicider dans un avenir très proche :

  • la personne a mis de l’ordre dans ses affaires personnelles (ex. : assurance vie) et paraît anormalement calme. Cela peut signifier qu’elle a planifié son passage à l’acte suicidaire pour les jours qui viennent ;
  • la personne rationalise sa décision de mourir ou semble au contraire très émotive, agitée ou troublée ;
  • elle se sent complètement tétanisée par la dépression, le désespoir, la douleur psychique ;
  • l’expression de son mal-être est soit omniprésente, soit complètement absente ;
  • elle se procure un moyen de se suicider (médicaments, arme à feu, etc.) ;
  • elle a le sentiment d’avoir tout fait et tout essayé ;
  • elle s’isole anormalement. »

Ce texte est issu de l’article dédié aux crises suicidaires et aux tentatives de suicides sur le site Ameli.fr 

Tous les gays prennent de la kétamine ! 

Lorsque les personnages considèrent avec serieux le suicide potentiel de Sebas, il y a une réplique plutôt drôle qui est prononcée par Jordan : « Ce n’est pas du poison ! C’est de la kétamine ! Tous les gays prennent de la kétamine. » C’est un peu réducteur et peut-être caricatural ? Le fait est que le personnage parle de son point de vue à lui (trentenaire, homosexuel, nordaméricain, très très urbain et donc : usager de drogues), mais la réplique est-elle pourvue d’une réalité épidémiologique ? Si l’on sait que le tabac et l’alcool traversent sans peine les catégories sociodémographiques, c’est sûrement moins le cas pour les drogues illégales, en poudre ou de synthèse. 

Au détour d’un (très intéressant) entretien croisé pour le média Le Polyester, quand on lui dit « En tant qu’artiste ouvertement gay, vous prenez le parti brutalement honnête de montrer des personnages homosexuels sous un jour qui ne soit pas artificiellement flatteur ou positif », Jordan Firstman répond : 

« Sebastián voit le monde à travers les yeux d’une personne créative. Je ne pense pas que le film montre la communauté gay sous un angle spécialement négatif ou positif, mais sous un jour réaliste tout simplement. La plupart des homos que nous connaissons dans nos vies prennent beaucoup de drogues, baisent beaucoup, sont complètement dépressifs, ne sont pas toujours sympas les uns envers les autres. L’homosexualité, c’est ça aussi. Je trouve ça dingue que cet aspect de notre communauté ne soit jamais visible dans les médias grand public, parce que dès qu’on fouille dans les réseaux sociaux, on trouve beaucoup d’homos horribles, méchants, tristes ou superficiels, et c’est la vie. À titre personnel, je ne trouve pas que la culture gay se trouve à l’heure actuelle dans une situation très épanouissante. Nous avons obtenu beaucoup ces derniers temps : nous avons le droit de nous marier et dans bien des régions le HIV n’est plus exactement le fléau qu’il était il y a vingt ans. Dans les années 80, quand les homos baisaient et prenaient des drogues avec excès, cela avait davantage de sens car ils se battaient pour leur survie et leur droit à vivre à cent à l’heure. Aujourd’hui il n’y a plus vraiment de combat ou de nécessité à vivre dans l’urgence. »

C’est un point de vue intéressant et qui traduit une forme de réalité, c’est aussi en creux une thématique qu’aborde le film. Évidemment, il ne faut pas essentialiser toute la communauté homo du monde, pas plus qu’on ne peut vraiment comparer les populations des capitales de celles des milieux ruraux. Néanmoins, on apprécie fort d’avoir un film sur des homos et de la drogue réalisé par des homos qui se droguent et qui ne dramatisent ni n’enjolivent leurs consommations. 

Comme à notre habitude, on ne peut que vous recommander de regarder le film par vousmême pour vous forger votre avis, et pourquoi pas en discuter au détour de la section commentaires. « Rotting in the Sun » est un film américain réalisé par Sebastian Silva sorti en 2023 et disponible sur la plateforme Mubi. Il dure 1 heure et 49 minutes. Si vous voulez lire la critique écrite par Polyester vous pouvez cliquer ici et si vous voulez lire celle de Manifesto21, c’est ici.

As-tu aimé cet article ?

5
1

Ceci pourrait aussi t'intéresser