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©️ Photo de Rob Potter pour Unsplash

[Série 3/3] Stigmatisation et violente répression… La free, symbole de l’étouffement des cultures alternatives

Publié le 21 juillet 2025 par Clarisse

2001, la teuf bat son plein. Alors que les free et les teknivals se multiplient et que le mouvement prend une vaste ampleur en France, le système politicomédiatique se déchaîne. Drogué·es, chômeureuses, punks à chien… Personne n’est en reste pour qualifier une jeunesse qui, dans les faits, ne fait que danser. Un an après la naissance du Collectif des sons, un nouvel amendement « anti free party » est déposé par Thierry Mariani, député RPR. L’objectif ? Éradiquer les grands rassemblements illégaux en donnant naissance à une possibilité dès lors grandement redoutée par les orgas : la saisie du matériel de sonorisation. La réponse des teufeureuses ne se fait pas attendre. Manifestations, teufs contestataires, pétitions… Le débat fait rage et divise. Cet amendement est d’abord rejeté avant l’été 2001, grâce une mobilisation exceptionnelle des acteurices de la fête libre. Cependant, le 14 juillet 2001, pendant son allocution présidentielle, Jacques Chirac fera même cette célèbre déclaration : « Ce qui pose problème, c’est ce qu’on appelle aujourd’hui les free parties, c’est-à-dire les rassemblements de plusieurs centaines, voire de plusieurs milliers, de gens dans le secret le plus total avec plusieurs conséquences, aucune sécurité, et on a vu les accidents qui sont intervenus, avec souvent la dégradation de biens personnels, sans qu’il y ait le moindre responsable. »

Quelques mois plus tard, après un été bien rempli en teufs et teknivals, Daniel Vaillant, ministre socialiste de l’Intérieur, fait définitivement adopter l’amendement Mariani dans un paquet de lois sécuritaires suite aux attentats du 11 septembre 2001.

Mais pourquoi la classe politique en veut-elle autant à la free party ? « La free a toujours été réprimée puisque à la marge », assène Ange(*), 28 ans, membre d’un sound system depuis cinq ans. Elle a été très diabolisée par le système politique mais aussi par les médias qui n’ont eu de cesse de parler de drogue, de violence, de marginalité sans jamais en montrer son vrai visage. » Pour Erika, membre du collectif Tekno Anti Rep, qui lutte contre la répression subie par le mouvement, « la free est un milieu underground et donc incompris depuis ses débuts. Si tu ne rentres pas dans le moule, que tu ne suis pas les normes sociales, on te réprime ».

Dès 2002, l’État décide d’encadrer les teknivals et même de contribuer à l’organisation de certains d’entre eux. En mai 2003 a lieu le premier « Sarkoval », teknival légal et surveillé par un très important dispositif policier. La free aurait-elle perdu son essence libertaire d’autogestion ? C’est l’avis de plusieurs sound systems qui continuent à organiser des free parties illégales. En juillet 2003, les violences policières s’intensifient et un teufeur perd une main à cause d’une grenade offensive lors du teknival des Vieilles Charrues en Bretagne. 

Pendant quelques années, les organisateurices de teknivals légaux mènent des négociations avec l’État pour augmenter avec succès les seuil de participant·es. En mai 2007, le premier teknival illégal des Insoumis est organisé en parallèle du Sarkoval légal du 1er mai. Deux ans plus tard, la plus grosse saisie de matériel de sonorisation de l’histoire est effectuée par la police, tandis que lors de la Ravo’lt de 2010, de violents affrontements ont lieu entre les teufeureuses et la police, qui défigure une participante avec un Flash-Ball.

Face à la recrudescence d’une répression protéiforme, collectifs de sound system, assos de RdR en free party et Teknotonomy (qui deviendra ensuite Freeform) se coordonnent entre 2013 et 2015 pour résister à l’aide d’opérations coups de poing (blocages de route, teknivals revendicatifs, manifestives…), en documentant les violences policières, les saisies illégales, les refus et interdictions de soirées, la pression mise par l’État sur les propriétaires de terrain et avec un Manifeste, tout en portant des revendications auprès du nouvel interlocuteur étatique en charge du dossier : le délégué interministériel à la Jeunesse. Cette mobilisation sans précédent renforce les moyens de lutte du mouvement. La Coordination nationale des sons réunit plus de 800 sound systems qui échangent et s’entraident et le Fonds de soutien juridique des sons permet de mutualiser des ressources en cas de procès. Freeform accompagne le dialogue entre sons et pouvoirs publics. Le ministère de la jeunesse produit alors un guide d’accompagnement des fêtes et des instructions officielles censées adoucir les relations sur le terrain. 

 

« Les préfectures favorisent l’augmentation des risques »

Pourtant, bien que dessaisi du dossier, le ministère de l’Intérieur bloque toute tentative d’apaisement et ne cesse d’accentuer la répression. Dans la nuit du 21 au 22 juin 2019, lors de la fête de la musique, la police lance de nombreuses grenades lacrymogènes sur des personnes rassemblées pour écouter du son sur le quai Wilson à Nantes. Steve tombe à l’eau et se noie. Jugé pour homicide involontaire, le commissaire à la tête de l’opération sera relaxé en 2024. En décembre 2020, la free party organisée à Lieuron pour le Nouvel An est violemment réprimée par la police et l’opprobre jeté sur les participant·es et orgas, accusé·es d’être meurtrier·es pour avoir participé à un tel événement pendant la pandémie de Covid 19. Le cluster annoncé ne s’est jamais développé. 

Et comment ne pas évoquer ce qui s’est passé à Redon en juin 2021 lors du tekos organisé en hommage à Steve ? 

Pendant sept heures, à partir de 23h30, en pleine nuit, la police a tiré des centaines de grenades lacrymogènes sur la foule rassemblée pour faire la teuf, causant des plaies, des fractures, des brûlures, des crises de panique et de détresse respiratoire et arrachant la main d’un jeune homme de 22 ans. Dans son rapport intitulé « Redon : free party de la répression », Amnesty International stipule que « Les éléments recueillis sur les opérations de maintien de l’ordre à Redon indiquent que l’usage de la force n’était ni nécessaire, ni proportionné (…) Un usage de la force qui n’est pas nécessaire peut s’apparenter à un acte de punition, ce qui est illégal au regard du droit international relatif aux droits humains ». « T’es là juste pour faire la fête et tu te fais tirer dessus avec des grenades de désencerclement comme si tu avais commis un crime, résume Erika. Les préfectures favorisent l’augmentation des risques en mettant en place de plus en plus de mesures restrictives et violentes pour les teufeurs. La répression ne fonctionne pas, elle met juste les participant·es en danger. »  

Les drones, les hélicos, les grenades de désencerclement, les lacrymos… Des moyens financiers de plus en plus importants sont alloués à la répression de la teuf. « C’est un terrain d’expérimentation pour les différents moyens de répression et de maintien de l’ordre, un peu comme dans les stades et les manifestations. Sanctionner la free, c’est une manière symbolique de sanctionner les gens qui sortent de l’ordre établi », explique Ange.

 

« Il faut que l’on récupère la parole pour mettre en valeur la culture free »

Et le discours médiatique a également du mal à évoluer. Trente ans plus tard, après des décennies de désinformation et de stigmatisation, la free party souffre toujours d’une image marginale et peu fréquentable. Dans les médias, les articles sensationnalistes sont légion. Il n’est d’ailleurs pas rare de lire des témoignages de maires de communes où une free est organisée s’étonner de la propreté et du comportement décent des participant·es, témoignant des stéréotypes dont souffrent les teufeureuses. 

« On a trop longtemps laissé les médias parler à notre place car on voulait rester discret·es et éviter les représailles mais il faut que l’on récupère la parole pour mettre en valeur la culture free, qui est une culture à part entière, et casser les idéaux que de nombreux médias cherchent à nous assigner », explique Erika. C’est d’ailleurs l’un des objectifs du collectif Tekno Anti Rep : se réapproprier le discours autour du mouvement et de son public pour y remettre de la vérité. « On veut parler à monsieur et madame Toutle-Monde, leur faire comprendre qu’on est leur collègue de travail, leur commerçant·e du coin, qu’on est intégré·es dans la société à tous les niveaux et non pas des marginaux hors système, on aime juste partager notre passion ensemble en dansant le week-end. Il n’y a aucune raison de nous réserver un tel traitement. »

Car la situation ne va pas dans le bon sens. Le 18 mars dernier, les députés des groupes Ensemble (de la majorité) et Horizons ont déposé une proposition de loi visant à renforcer l’arsenal punitif à l’encontre des organisateurices de free. Cette proposition élargit la notion d’organisateur à toute personne qui diffuse des information sur la teuf, qui transporte du matériel de sonorisation, qui installe un lieu de repos ou encore qui propose un service de restauration. Elle prévoit des sanctions allant jusqu’à 5 000 euros d’amende et 6 mois de prison ferme. « Pour nous, cela va au-delà de la teuf. Cette proposition de loi est la première étape d’une loi liberticide à l’égard de toutes les cultures alternatives et tous les rassemblements entre êtres humains. On pense que c’est la liberté de toustes les français·es qui est en jeu, au-delà de celle de faire la fête », analyse Erika. Pour y répondre, des manifestives ont été organisées dans 25 villes en 2025 contre 14 en 2024.

Car la free, ce n’est pas juste faire la teuf, c’est toute une culture, une vision de la société, portée par des milliers de teufeureuses que le système politicomédiatique tente, en vain, de faire taire depuis maintenant plus de trente ans. Tout a été essayé : la désinformation, la répression, la légifération… Et pourtant, la free résiste. Et résistera.

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