Les vendeurs d’alcool, comme ceux de tabac, ont une longue histoire de lobbying, plus ou moins agressif, quand il s’agit de préserver leurs intérêts financiers, au dépens de la santé publique. Alors, comment encore aujourd’hui les alcooliers s’attaquent-ils aux tentatives de prévention et de réduction des risques liés à la consommation d’alcool ?
En septembre 2023, la Cellule investigation de Radio France a révélé que le cabinet de François Braun, alors ministre de la Santé, a annulé au printemps deux campagnes de prévention sur les risques liés à la consommation d’alcool, sous la pression du lobby alcoolier et, en particulier, du lobby vitivinicole. D’après les informations de Radio France, Vin et Société (le principal lobby français du vin, qui regroupe 500 000 producteurs et acteurs de la filière) a envoyé un courrier incendiaire à Emmanuel Macron, qui aurait ensuite répercuté ces récriminations auprès du cabinet du ministre de la Santé. Avant ça, en 2019, Santé publique France avait prévu de lancer l’opération « Mois sans alcool », le fameux « Dry January ». Là aussi, l’opération avait été annulée « à la suite d’arbitrages gouvernementaux », explique Jean-Michel Delile, président de la Fédération Addiction. Emmanuel Macron avait en effet rencontré des viticulteurs, lors d’une visite officielle, qui lui avaient demandé la suppression de cette campagne.
Suite à la suppression des deux campagnes au printemps dernier, Bernard Basset, médecin spécialiste en santé publique et président de l’association Addictions France a déclaré à France Info : « Cela ne m’étonne pas du tout. Le lobby de l’alcool a infiltré tout l’appareil d’État, de la présidence jusqu’au ministère de la Santé, en passant par le Premier ministre. Il influe sur les décisions et en fait, il s’octroie un droit de veto sur les campagnes. On ne peut pas faire une campagne d’information libre sur l’alcool en France. »
Le problème avec ces deux campagnes, c’est qu’elles visaient à informer la population générale sur les risques liés à la consommation d’alcool, et ça, les alcooliers n’aiment pas du tout. Tant que les campagnes visent une population restreinte (les femmes enceintes, les jeunes) et abordent des risques spécifiques (les accidents de la route, par exemple), les lobbies de l’alcool tolèrent la prévention. Mais gare à ceux qui voudraient aborder la question de l’impact de l’alcool sur la santé auprès du grand public ! Hors de question de parler des risques de cancers, de maladies cardiovasculaires et d’AVC, par exemple, même s’ils sont parfaitement documentés scientifiquement. Pourtant, l’alcool serait responsable chaque année, en France, de 49 000 décès. Son coût social est estimé à 118 milliards d’euros par an, 6% du PIB, pour des recettes fiscales de seulement 4 milliards d’euros – 30 fois moins !
Malheureusement, les pressions des lobbies ne datent pas d’hier et ne semblent pas près de s’arrêter ! Le président a même été récompensé du Trophée du vin et qualifié de « personnalité de l’année » par La Revue du vin de France. L’ancien ministre de la Santé, Aurélien Rousseau, a refusé de rediffuser une campagne de 2019, jugée trop agressive par les lobbies. Il a également refusé de qualifier l’alcool de drogue lors d’une interview sur France Info, dans laquelle il adoptait parfaitement la posture des lobbies face au Dry January (modération, continuer de boire mais pas trop, etc.). Les lobbies semblent donc plus forts que notre santé.
https://www.cairn.info/revue-les-tribunes-de-la-sante1-2003-1-page-47.htm