
Longtemps stigmatisée, la consommation de cannabis s’impose désormais comme un sujet central dans les débats de santé publique, entre enjeux thérapeutiques, politiques de réduction des risques et usages sociaux.
La France détient le triste record européen de consommation de cannabis, notamment chez les jeunes adultes. Le taux d’expérimentation a bondi de 12,7% à 50,4% entre 1992 et 2023 (source : OFDT). Cette banalisation interroge : comment prévenir les risques sans nier les fonctions sociales ou subjectives que cette substance peut remplir ?
Parallèlement, si la légalisation du cannabis à visée thérapeutique progresse dans de nombreux pays, la France avance encore à tâtons, quand toutefois elle ne se limite pas à rester campée sur la prohibition et la répression.
Il devient essentiel de clarifier les différences – mais aussi les zones de chevauchement – entre usages thérapeutiques et récréatifs.
Usages récréatifs : entre quête de plaisir et vigilance sanitaire
L’usage récréatif du cannabis se caractérise par une recherche de sensations euphorisantes, de détente ou de créativité. Les variétés consommées à cet effet sont généralement riches en THC (tétrahydrocannabinol), le principal composé psychotrope de la plante qui demeure illicite.
Bien que socialement répandu, cet usage n’est pas sans conséquences et comporte des effets indésirables : troubles de la mémoire, anxiété, altération de l’attention ou aggravation de troubles psychiatriques peuvent survenir en cas de consommation intensive ou prolongée.
Usages thérapeutiques : une expérimentation encore très encadrée
L’usage à des fins thérapeutiques vise quant à lui à atténuer les symptômes de patients atteints de maladies chroniques ou sujets à des traitements lourds : douleurs neuropathiques, spasticité, nausées post-chimiothérapie, épilepsie résistante…
Dans ces cas, le CBD (cannabidiol), molécule non psychotrope, est souvent privilégié pour ses effets anti-inflammatoires, anxiolytiques et antalgiques.
En France, l’expérimentation du cannabis médical, lancée en mars 2021, a été prolongée jusqu’en mars 2026. Elle est encadrée par une réglementation stricte de la prescription pour des pathologies spécifiques, sous formes orales ou inhalées.
Malgré la pertinence d’usage et les vertus thérapeutiques, cette démarche reste encore peu accessible à de nombreux patients, du fait de critères d’inclusion stricts et d’une logistique contraignante pour les prescripteurs.
Un continuum d’usages plutôt qu’une dichotomie
Ainsi, alors que des pays comme le Canada, l’Allemagne ou plusieurs États américains ont légalisé simultanément les usages récréatifs et médicaux, la France continue de cloisonner. La Haute Autorité de santé poursuit son évaluation, mais les discussions autour d’une régulation globale – intégrant prévention, information et réduction des risques – demeurent timides.
Pourtant, comme le montre une étude publiée dans le Journal of Psychoactive Drugs portant sur plus de 4 000 usagers quotidiens de cannabis en France, la réalité des usages est plus nuancée :
– Seuls 10% d’entre eux se déclarent en effet usagers thérapeutiques exclusifs (ETCU) ;
– Les autres étant des usagers thérapeutiques non exclusifs (NETCU), qui combinent usages récréatifs et médicaux.
« Jean, 38 ans, utilise du cannabis pour soulager ses douleurs chroniques liées à une ancienne blessure. Mais il dit aussi apprécier “le calme et l’espace mental” que la plante lui procure le soir. Faute d’un suivi médical continu, il compose lui-même ses doses et ses variétés. »
Des personnes consommant à des fins récréatives évoquent également des usages autothérapeutiques, pour réduire les troubles du sommeil, l’anxiété, apaiser une douleur.
Pour une approche plus intégrée et plus juste
Ces profils hybrides illustrent ainsi des pratiques d’autosoin en dehors du cadre médical formel, souvent issues de contextes précaires ou marqués par l’échec des prises en charge classiques.
Des pratiques d’autosoin qui devraient, selon les auteurs de l’étude, bénéficier d’une reconnaissance accrue, y compris hors du cadre médical officiel.
Comprendre les motivations et les profils d’usage est indispensable pour sortir des fausses oppositions.
À l’heure où les frontières entre soin et plaisir s’effacent, la France devra tôt ou tard sortir de sa zone grise.