À droite comme à gauche, sur tous les plateaux et dans toutes les radios, elle est désormais sur toutes les lèvres : La « lutte contre le narcotrafic » est, en ce moment, le sujet préféré des médias et des politiques, qui multiplient les sorties médiatiques et les fausses solutions électoralistes.
Le récent assassinat tragique de Medhi Kessaci, frère d’Amine Kessaci, militant écologiste marseillais connu pour son combat public contre le narcotrafic, a remis le sujet encore un peu plus au centre du débat.
Réprimer, encore et toujours
2025 avait déjà vu la promulgation de la nouvelle « Loi contre le narcotrafic ».
Renforcement de la lutte contre le blanchiment, régimes carcéraux plus stricts pour les « trafiquant·es les plus dangereux·euses », nouvelles techniques d’enquête et outils judiciaires, mesures administratives et locales renforcées (notamment les pouvoirs préfectoraux)… Cette loi prévoit pêle-mêle des mesures pour accroître les pouvoirs de la police et de la justice… Sans jamais évoquer les droits humains, la réduction des risques, le soin, la prise en charge des usager·es.
Car la France est spécialiste d’une chose bien particulière, celle de parler de « drogues », de « trafiquant·es », de « consommateurices » sans jamais nommer ce dont elle ne veut pas parler : l’addiction, la précarité des usager·es, la nécessité d’avoir, enfin, recours à une vraie politique de réduction des risques qui, elle, donnerait certainement les résultats tant attendus.
Non, en France, les politiques font le choix de la répression. Et ce, depuis 1970. Car le 31 décembre, cela fera 55 ans que la politique des drogues est la même. Une politique parmi les plus répressives en Europe. En 2004, une loi a bien prétendu mettre la santé au centre du débat, sans grand succès. Depuis, le cadre législatif encadrant les usager·es est tiraillé entre ces deux textes, qui s’opposent et n’évoluent certainement pas dans le sens d’une dépénalisation alors que la répression de l’usage de stupéfiants ne sert à rien d’autre qu’à faire du chiffre.
Au détriment des usagers les plus précaires
Ce n’est pourtant pas faute de demander l’évolution de la politique liée aux drogues. Depuis des décennies, les soignant·es, les travailleureuses sociaux·ales, les expert·es alertent sur l’inefficacité et sur la dangerosité de la politique répressive française dont les résultats sont au mieux médiocres, au pire alarmants.
Si l’alcool et le tabac sont moins populaires qu’avant, en matière de consommation de substances psychoactives illégales, le nombre d’usager·es augmente ainsi chaque année. Dans les centres-villes, la précarisation des usager·es se constate chaque jour.
En 2024, le dispositif Trend de l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT) signale « une aggravation de la précarité qui caractérisait déjà les conditions de vie des personnes consommatrices de drogues marginalisées. Ce phénomène résulte d’une pluralité de facteurs : difficultés financières croissantes, expulsions locatives ou de squats, saturation des dispositifs d’hébergement, dématérialisation des démarches administratives, éloignement des centres-villes où sont implantés les dispositifs médico-sociaux. De même, la santé mentale et l’accès aux soins psychiques des personnes précaires consommatrices de drogues continuent d’être particulièrement préoccupants en 2024 ».
Sus aux consommateurices
Suite à l’assassinat de Mehdi Kessaci, devant la presse, le ministre de l’Intérieur, Laurent Nuñez, s’est contenté d’affirmer que « s’il n’y avait pas de consommateurs, il n’y aurait pas tous ces drames, tous ces crimes et tous ces trafics ». Une stratégie de culpabilisation et de criminalisation des usager·es bien rodée. Or, tous les expert·es le disent, le seul résultat de cette culpabilisation est de générer de la honte et de la peur, ce qui entrave considérablement le recours aux soins et aggrave les questions d’addictions. Et ainsi, les chiffres de consommation. Or, plus il y a de consommation, plus il y a de morts, de vies brisées mais aussi… de trafic.
À l’étranger, les pays qui ont fait évoluer leur législation font pourtant mesure d’exemple. Comme le relate L’Humanité, « En vingt ans, le Portugal a vu les contaminations au VIH divisées par 18 et compte cinq fois moins de décès par overdoses, selon un rapport publié en 2021 par l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies qui montre aussi que ce changement de politique a réduit drastiquement tous les trafics ». Pourquoi donc la France s’obstine-t-elle à perpétuer une politique qui va à l’encontre de ces résultats ?
À Marseille, une situation tendue
Et, même sans faire évoluer la loi, des solutions existent. Les Haltes soins addictions (HSA) ont fait leurs preuves dans bien des pays. Là où elles ont été instaurées, on constate une baisse des overdoses, une baisse des contaminations au VIH, une diminution par trois des seringues dans l’espace public. Ces lieux d’accueil permettent de consommer à moindre risques mais aussi d’offrir une variété de soins et services à des usager·es précaires ou non. La phase « d’expérimentation », menée à Paris et Strasbourg depuis 2016 devait prendre fin au 31 décembre 2025, sans qu’aucune suite ne soit prévue. La mobilisation des associations laisse entrevoir une prolongation de cette phase pour deux ans, mais rien n’est encore joué, puisque cet amendement sera voté dans le nouveau plan de financement de la Sécurité sociale.
À Marseille, le projet était prêt à voir le jour avant d’être annulé du jour au lendemain par la préfecture en 2024, sans réelle justification. Résultat ? Le nombre d’usager·es se multiplie en centre–ville, les obligeant à consommer et vivre dans une grande précarité. Et la réponse policière a failli nous faire entrer dans une nouvelle ère, avec l’opération « Santé Justice » prévue le 26 novembre. Comme relaté dans notre communiqué, celle-ci consistait à déplacer les usager·es par la force et de manière complètement arbitraire. Les populations ciblées, des femmes et des hommes vivant à la rue et ayant, pour la plupart, besoin d’un accompagnement médicosocial au long cours, devaient ainsi être regroupées pour une demi-journée dans un centre « de transit », avant d’être réorientées au cas par cas : vers les structures associatives pour les plus chanceuses, vers les centres de rétention ou une garde à vue pour les autres. Grâce à l’indignation des associations et à leur refus de coopérer, cette opération a été abandonnée à la dernière minute, mais laisse craindre pour les mois à venir.
Continuons à mener le combat
Bien sûr que le narcotrafic doit être combattu, bien sûr qu’il fait des victimes chaque jour, bien sûr qu’il ne s’agit en aucun cas d’être complaisant·e avec celleux qui tirent les ficelles de cette entreprise mortifère, mais cela ne doit pas se faire au détriment de la santé publique et en ignorant la réalité de la « drogue » : celle de personnes en détresse, de personnes qui ont besoin de soins, d’accompagnement, celle d’une santé publique qui ne doit pas en avoir que le nom.
La répression dans sa recette classique – interdiction, criminalisation, sanctions – n’a jamais réussi à réduire ni la consommation, ni le trafic, ni tous les dommages engendrés par ces deux composantes. Pendant que les politiques se complaisent dans cette méthode inefficace, des usager·es meurent, des jeunes auxquels le seul choix offert par la société est de participer au trafic meurent, des familles et des vies se brisent.
La lutte contre le narcotrafic ne sera jamais, jamais efficace si elle n’est pas accompagnée d’une stratégie de santé publique digne de ce nom, fondée sur le soin, l’accompagnement et la dignité des personnes concernées. Ce combat, mené par les associations, les travailleureuses sociaux·ales, les soignant·es et les usager·es eux-mêmes depuis des décennies est plus que jamais d’actualité, continuons à le mener.