Impossible de passer à côté de ce procès. On parle bien sûr du procès des 51 violeurs, celui de Mazan ou l’affaire Pelicot. Quel que soit le nom qu’on lui donne, l’affaire oppose Mme Gisèle Pélicot à son mari qui est soupçonné de l’avoir droguée à son insu avec des médicaments pendant dix ans puis d’avoir recruté des hommes pour la violer, sous son œil vigilant. Si l’enquête a permis d’identifier 51 accusés, l’instruction ignore encore à l’heure actuelle l’identité de dizaines d’autres coupables.
Défendre l’indéfendable
Cette affaire – sordide en tous points – montre encore une fois que la cruauté de l’homme, sa toute-puissance et sa crasse n’ont aucune limite.
Nous avons décidé d’en parler ici pour deux raisons majeures :
- La première, c’est qu’il s’agit d’un cas de soumission chimique (dans lequel le coupable désigné est encore une fois un proche de la victime, dont on ne pouvait rien se douter) ;
- la seconde, c’est la défense des accusés écœurante à tous points de vue.
Ils sont plusieurs à raconter qu’ils reproduisent les violences vécues dans l’enfance. Des violences sexuelles. Dans leurs plaidoiries, les avocats expliquent ainsi que la monstruosité a engendré un monstre. Que le vice de parents violents s’est transmis à leur enfant devenu adulte. L’enfer. L’enfer, bien sûr, surtout pour toutes les personnes concernées. Tous les adultes qui ont été abusés dans l’enfance. Ceux élevés par des parents détestables, violents ou pervers. Toutes celles et ceux qui sont encore hanté·es par des images innommables issues de leur prime jeunesse et qui ont dû se reconstruire sur des ruines pour survivre et espérer briser le cercle de la violence. Toute celles et ceux qui luttent pour essayer de faire le bien et de garder leurs démons enfermés.
La somme de violence qui peut être faite à un enfant sans que personne ne dise jamais rien est inimaginable. Les enfants prennent la vie comme elle vient. Quand le pire survient, ils l’intègrent et l’ajoutent à leur routine, pour ainsi dire. Si aucun adulte ne réalise ce qui se trame dans l’intimité du foyer, l’enfant prend perpétuité. Surtout si son ou ses bourreaux partage·nt son foyer. Ce n’est qu’autour de l’adolescence, au gré des rencontres et de l’éducation – notamment sexuelle –, qu’une prise de conscience peut survenir.
Si nous prenons la parole aujourd’hui sur cet épineux sujet, c’est pour faire passer un message à toutes les personnes concernées par de telles horreurs et qui sont profondément révolté·es d’entendre une telle défense. Celles et ceux que cette affaire et sa médiatisation renvoient dans les pires moments de leur enfance. On est là. On prend la parole pour vous. Pour vous dire qu’on vous apporte tout notre soutien, quoi que ça vaille.
Des chiffres difficiles à ignorer
Les chiffres existent. Ils sont édifiants, et il y a de vraies raisons de penser qu’ils sont largement sous-estimés. Les voici, tels qu’ils sont présentés (pour la France) dans le « Plan de lutte contre les violences faites aux enfants 2023-2027 » sur le site solidarité.gouv.fr. :
- Violences physiques :
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- Chaque semaine, 1 enfant meurt sous les coups de ses parents.
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- En 2021, +16% de violences intrafamiliales non conjugales par rapport à 2020 (selon le ministère de l’Intérieur), dont des violences physiques et sexuelles.
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- En 2022, le 119 a traité les situations de 40 334 enfants en danger ou en risque de danger.
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- 24% des Français de plus de 18 ans estiment avoir été victimes de maltraitances graves dans leur enfance (sur un échantillon de 1 000 Français).
- Violences sexuelles :
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- Chaque année, 160 000 enfants sont victimes de violences sexuelles, dont 77% au sein de la famille (estimation Ciivise).
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- Les enfants en situation de handicap ont un risque 2,9 fois plus élevé d’être victime de violences sexuelles.
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- En 2021, 13% des femmes et 5,5% des hommes disent avoir subi des violences sexuelles dans leur enfance, des violences incestueuses pour 4,6% des femmes et 1,2% des hommes (enquête Inserm).
Toujours selon la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) :
- 3,9 millions de femmes (14,5%) et 1,5 million d’hommes (6,4%) ont été confrontés à des violences sexuelles avant l’âge de 18 ans, soit un total 5,4 millions de personnes. (Inserm-Ciase).
- Autrement dit,
un·e enfant est victime d’un viol ou d’une agression sexuelle toutes les 3 minutes.
Coupables victimes ou Victimes coupables ?
Une étude nationale publiée en 2023 s’est, quant à elle, intéressée à la santé mentale en population carcérale (au 1er novembre 2023, 75 130 personnes étaient incarcérées en France, d’après l’article sur la surpopulation carcérale publié sur le site de la Fondation Après-Tout / Fondation de France).
On n’en retiendra que deux chiffres – marquants – concernant la prévalence des traumatismes subis dans l’enfance.
98,2% des participants et 99,2% des participantes (à l’étude, ndlr) ont été exposés à au moins un traumatisme (négligence ou abus) dans l’enfance.
Un chiffre démentiel. Une preuve irréfutable, s’il en fallait encore une, de l’importance fondamentale de prendre soin des enfants. Mais malgré ce constat, il convient de rappeler qu’une immense majorité des personnes victimes de violences dans l’enfance ne feront jamais de mal à personne. À part peut-être à leur propre personne.
Autrement dit, vous êtes (nous sommes) des milliers à lutter avec ce passé, mais votre destin n’est pas de reproduire ces violences.
Le stress traumatique et ses conséquences
Les réminiscences d’un passé difficile peuvent entraîner un état d’anxiété, du stress-post traumatique, et conduire à des prises de risques.
À ce sujet, le dossier spécial de l’Inserm explique que « Les troubles du stress post-traumatique (TSPT) sont des troubles psychiatriques qui surviennent après un événement traumatisant. Ils se traduisent par une souffrance morale et des complications physiques qui altèrent profondément la vie personnelle, sociale et professionnelle. Face à un même événement, le risque de développer de tels troubles dépend de facteurs préexistants propres aux patients et du contexte dans lequel les suites de l’événement se déroulent ».
Mais nous ne sommes pas tous égaux face à ce trouble ! Plus l’entourage est soutenant et bienveillant, et plus l’environnement est rassurant et calme, meilleures sont les chances que ces troubles disparaissent en quelques mois. Ils peuvent aussi devenir chroniques, c’est-à-dire qu’ils perdurent et évoluent, avec un retentissement sur la vie quotidienne.
« 9 victimes sur 10 (89%) ont développé des troubles associés au psychotraumatisme ou trouble de stress post-traumatique (TSPT) : conduites à risque, troubles psychiques mais aussi physiques. En effet, les victimes rapportent l’adoption de conduites à risque (conduites addictives, expositions à des situations dangereuses, comportements agressifs envers soi-même ou envers les autres, etc.) ; elles souffrent aussi de troubles psychiques (dépression, conduites suicidaires, troubles alimentaires, etc.). Ces troubles peuvent avoir de lourdes conséquences sur la santé physique. » (Synthèse – Violences sexuelles faites aux enfants : « On vous croit » page 15)
L’usage de drogues est une des manières – consciente ou non – que l’être humain a trouvées pour gérer des douleurs physique ou mentale. Cela n’a rien de nouveau. Nos politiques actuelles gagneraient à prendre en compte cette donnée. Mais passons. Si ce sujet vous intéresse vous pouvez creuser du coté de ce long entretien avec un psy que nous avons publié en 6 parties cet été qui aborde les vécus traumatiques et les conduites addictives.
Parmi les personnes qui souffrent d’un trouble de l’usage de substances (les toxicomanes, les dépendants, appelez–les comme vous voulez), les victimes de violences dans l’enfance et de violences sexuelles sont ainsi sur-représentées. Pour les femmes et les personnes issues de la communauté LGBTQIA+, c’est double peine, comme pour les personnes issues d’un parcours d’exil – réfugiés, migrants.
Pas une destinée
On se doute que vous êtes nombreux et nombreuses à être concerné·es, et on avait vraiment envie de s’adresser à vous pour vous dire que vous êtes des survivant·es, que vous ne méritez pas ce qui vous est arrivé. Et qu’on croit en vous pour que la violence n’aille pas plus loin. Soyez indulgent avec vous–même. On est avec vous. On est avec Gisèle Pelicot. Et on est aussi avec toutes les personnes victimes de violences sexuelles. On vous croit. Votre destin n’est pas de devenir violeur, violeuse ou assassin. Rassurez-vous.
Ne laissez pas les avocat·es puant·es de Dominique Pelicot et sa cinquantaine de co-accusés vous saper le moral en essayant de travestir la définition de viol, d’inverser la charge de la culpabilité, de faire passer les accusés pour des victimes.
🤬 Que des accusés se cachent derrière la perversion de Dominique Pelicot est une preuve de leur lâcheté.
🤬 Que la violence de leur propos aille de pair avec la violence de ce qui leur est reproché est une preuve de leur culpabilité.
🤬 Que le maire de la ville où se sont déroulés les faits ose minimiser la violence du viol en la comparant à la mort est une preuve que certaines personnes ne comprendront jamais, même si elles ont des fonctions publiques.
🤬 Que des vieux hommes blancs cisgenres hétérosexuels propriétaires, éduqués et bardés de diplômes tergiversent pour appliquer « le bon droit » de ce fameux Monsieur-Tout-Le-Monde, alors que les viols sont documentés par des vidéos et des photos explicites capturées avec la complicité des violeurs, est une preuve que notre société est malade. Encore plus quand on sait que les faits sont reconnus par le principal intéressé et certains co-accusés.
De bonnes raisons de démarrer une psychothérapie ou d’avoir envie de s’éclater le crâne ! Ce n’est pas très politiquement correct, mais c’est la réalité.
Si vous voulez vous armer contre les arguments fallacieux et douteux, le site Cortecs propose son « Petit recueil de 25 moisissures argumentatives pour concours de mauvaise foi » bien utile pour tenir tête à ceux qui craignent de prendre la parole en public.