Un photomontage maison pour parler de sommeil et d'agression sexuelle (une galère)
Un photomontage maison pour parler de sommeil et d'agression sexuelle (une galère)

Sexsomnie : comportement automatique ou alibi judiciaire ?

Publié le 7 octobre 2024 par Maxime

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Cet article parle de : #consentement #culture-du-viol

Vous avez dit sexsomnie ? Un diagnostic méconnu qui pourrait remettre en cause la responsabilité pénale en cas d’agression sexuelle ? La thèse de Tuong Bao Truong nous en dit plus sur le sujet. 

Comment la repérer, quelle conduite tenir face à ce diagnostic et quelle est la responsabilité pénale du patient dans de telles situations ? : tels sont les principaux axes de ce travail, dont l’auteur précise qu’il a pris naissance « à la suite de l’entretien de Mr Y placé en détention provisoire pour des faits de viols et d’agression sexuelle qui se seraient, selon lui, déroulés pendant son sommeil  ». 

À ne pas confondre avec les érections nocturnes qui se produisent de manière physiologique chez les hommes, la sexsomnie se définit étymologiquement par des comportements sexuels durant le sommeil. Un trouble du sommeil, ou parasomnie, qui implique tout comportement sexuel commis pendant le sommeil d’une personne (y compris pendant l’éveil confusionnel), au cours duquel « le sujet est confus et présente une amnésie partielle, voire complète ».  

« Les sujets présentant des épisodes de sexsomnie ont souvent une vie sexuelle épanouie, sans pathologie psychiatrique associée. La répétition des épisodes sexsomniaques peut, cependant, être responsable d’un retentissement majeur dans le couple et occasionner des conséquences d’ordre médico-légal. » 

Surtout des hommes mais pas que 

Si le premier cas a été décrit en 1887, la prévalence de la sexsomnie est relativement faible : de 2 à 6% des patients dans les cliniques du sommeil (où ils sont forcément beaucoup plus nombreux qu’en population générale), et surtout chez de jeunes adultes masculins.  La thèse nous rapporte cependant quelques pittoresques cas féminins : 

– Celui d’une femme mariée de 36 ans, mère de cinq enfants, adressée à un centre de troubles du sommeil en raison d’un comportement anormal pendant le sommeil. « Ses antécédents médicaux étaient caractérisés par une consommation modérée a forte d’alcool jusqu’à l’âge de 19 ans. Elle avait des antécédents de somnambulisme qui avaient commencé dans l’enfance et se poursuivaient jusqu’à aujourd’hui. Son mari s’est plaint qu’elle l’agressait sexuellement régulièrement pendant qu’il dormait. En effet, il se réveillait dans la nuit alors que sa femme le masturbait ou initiait des rapports sexuels. Les épisodes commençaient toujours entre 2 et 6 heures du matin, et duraient jusqu’à ce qu’un rapport sexuel complet avec éjaculation soit réalisé. Apres cela, la femme s’endormait et avait une amnésie totale de l’évènement. Ce comportement sexuel anormal avait lieu depuis 6 ans et se répétait environ 4 à 5 fois par an. » 

– Ou celui d’une femme de 40 ans, mère de trois enfants. « Le premier épisode de comportement sexuel anormal pendant le sommeil s’est produit lorsqu’elle avait 35 ans. Son mari a été soudainement réveillé à 2 heures du matin alors qu’elle battait et manipulait violemment son pénis. Elle a été décrite comme absente, confuse et insensible à ce moment-là, et n’avait aucun souvenir de l’évènement par la suite. Plusieurs épisodes d’agression sexuelle se sont ensuite produits. Ils étaient irréguliers mais se produisaient au moins une fois par mois, toujours entre 1 et 3 heures du matin, avec une amnésie totale pour la patiente. Son mari essayait de porter des vêtements pendant la nuit, mais ceux-ci étaient enlevés par la patiente au moment des agressions. 
Pendant un autre épisode, elle a essayé d’introduire des billes dans l’anus de son mari. Une fois, il a été réveillé par une douleur intense causée par trois cadenas placés autour de son pénis et de ses testicules. 
Dans un autre cas, son pénis a été placé dans le couvercle d’une machine à hacher pendant qu’il dormait. » 

Diagnostic et traitement 

Le diagnostic de la sexsomnie repose principalement sur l’anamnèse (retour à la mémoire du passé vécu et oublié ou refoulé, par opposition à l’amnésie, ndlr) et la clinique, ce qui nécessite de « reprendre les informations sur les comportements du patient pendant son sommeil, ainsi que les informations sur les antécédents familiaux et personnels de parasomnies. Les entretiens avec les partenaires actuels, ou passés, sont également importants. » 
Basées sur celles des autres parasomnies, les recommandations en matière de traitements insistent particulièrement sur l’éducation du patient sur son sommeil, et les techniques pour améliorer l’hygiène du sommeil et éviter ce qui interfère avec un sommeil de bonne qualité. 
D’autres prônent de cibler les facteurs déclenchant les épisodes de sexsomnie, « notamment en réduisant le niveau de stress, en évitant l’alcool et les drogues, et en évitant les situations susceptibles de perturber les horaires de sommeil et d’éveil ». 
Ou encore « de ne dormir qu’avec son conjoint, voire de s’emmitoufler dans un sac de couchage ». 
Un trouble qu’on peut également traiter à l’aide de benzodiazépines, d’hypnose et de thérapie cognitivo-comportementale, le tout accompagné d’une « évaluation des intérêts sexuels de la personne par des entretiens et par la mesure de la tumescence pénienne », indispensable selon certains.  
Comme l’explique Tuong Bao Truong, il importe en effet « de savoir si les comportements adoptés par la personne souffrant de sexsomnie sont vraiment des comportements automatiques et involontaires, ou s’ils représentent des inhibitions réduites liées à des intérêts sexuels paraphiliques ou opportunistes. Un homme souffrant de sexsomnie peut par exemple agresser sexuellement un enfant dans son sommeil parce que l’enfant était à proximité ».  

Une défense facile ? 

La thèse présente ensuite différents cas illustrant la difficulté que la sexsomnie peut poser dans le domaine judiciaire. 
Notamment, celui de monsieur Y, « actuellement incarcéré en détention provisoire à la maison d’arrêt pour viols sur sa femme et sur ses deux belles filles. Il bénéficie d’un suivi psychiatrique et psychologique régulier lors de sa détention. Le jour suivant son incarcération, M. Y réalise une tentative de suicide par strangulation dans sa cellule. 
Il ne nie pas les faits pour lesquels il est incarcéré et évoque d’emblée le fait d’être somnambule depuis l’enfance. Il dit avoir régulièrement des rapports sexuels avec sa femme pendant son sommeil sans en garder le moindre souvenir. » 
On apprend plus loin que l’élément de différenciation principal entre la sexsomnie et le funambulisme est la présence d’une activité sexuelle, et que dans le cas de M. Y, « les faits ne se sont pas produits dans son lit mais dans celui de la victime, ce qui ne coïnciderait pas avec le diagnostic de sexsomnie ». Les actes réalisés dans l’intention de cacher les faits ne plaident, en outre, « pas en faveur du diagnostic de sexsomnie ». 

Une autre affaire concerne un homme accusé d’agressions sexuelles sur des femmes adultes à plusieurs reprises sur plusieurs mois. « Il dit se souvenir des faits sans parvenir à les expliquer. Les victimes décrivent un auteur ne réagissant pas aux gifles, oppositions et coups de poings mais cessant ses agressions lorsqu’elles parvenaient à le réveiller. 

3 expertises judiciaires ont été réalisées : 

    • Le premier expert, psychiatre, émet l’hypothèse d’un trouble du sommeil, une parasomnie de type sexsomnie, précisant que ce trouble donne lieu à des comportements non maîtrisés mais restant ambivalent sur ses conclusions.
    • Le deuxième expert, un neurologue spécialiste du sommeil, évoquait une parasomnie de SLP objective avec somniloquie et comportements sexuels. Il précise que le patient est complètement endormi lors des faits et que l’acte n’est pas guidé par sa volonté mais automatique et non conscient.
    • Le troisième expert, une nouvelle fois psychiatre, évoque que les troubles du sommeil du patient peuvent l’amener à commettre des agressions sexuelles pédophiles sans s’en rendre compte, mais qu’il était capable de réaliser la gravité de ses actes au réveil. Il conclut alors à l’abolition du discernement. » 

La chambre d’instruction a finalement déclaré le prévenu irresponsable pénalement, en raison de l’existence d’un trouble ayant aboli son discernement et le contrôle de ses actes au moment des faits. 

Si le diagnostic de sexsomnie peut ainsi sembler « une défense facile » pour les auteurs de violences sexuelles, l’auteur nous explique que ce n’est pas « la défense la plus aisée » car plaider la sexsomnie « signifie que le plaignant ne nie pas l’accusation ». 
De même, « un antécédent de parasomnie et de sexsomnie ne suffit pas à mettre hors de cause l’accusé », car « cela nécessite en plus de prouver que l’individu qui souffre de sexsomnie était bien sexsomniaque lors des faits d’agressions sexuelles ». 

Mais au-delà, c’est toute la notion de discernement et de conscience que la sexsomnie met, selon lui, en difficulté : « En effet, dans l’exemple de la sexsomnie, le sujet semble éveillé, il a les yeux ouverts, peut se mouvoir et parfois même s’exprimer ce qui, selon certaines définitions, le qualifierait de conscient. Néanmoins a-t-il conscience de ses actes ? Ses actes sont-ils volontaires ? Peut-on dire qu’il fait preuve de discernement dans cet état ? Comment juger un sujet incapable de se souvenir de ce qu’il a fait ? » Et de conclure qu’il « est aisé de comprendre la difficulté du corps médical et de la justice de s’accorder sur ces définitions, l’un ayant pour objectif de soigner, l’autre de juger ». 

 

Tuong Bao Truong. La sexsomnie, un diagnostic méconnu, un risque d’agression sexuelle et une défense posant la question d’une irresponsabilité pénale. Psychiatrie et santé mentale. 2022.  

 

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