
L’urgence d’un féminisme sans concessions (tout en étant ultra sexe).
En 176 pages, l’auteure Itziar Ziga nous accompagne à revoir notre copie sur ce que nous avons toujours appris en tant que femmes, c’est-à-dire le manuel de l’hétéronormativité tout droit dicté par des siècles de patriarcat. Autrement dit, comment être une femme, vu et validé par les hommes.
Devenir chienne est une œuvre avec un ton abrupt, vulgaire et finalement extrêmement jouissif. Loin d’un essai féministe classique, d’un discours policé, l’autrice crache sa colère et sa liberté, revendiquant un féminisme sauvage, sexuel et insoumis. À travers son texte, elle joue avec les insultes, retourne les stigmates et s’attaque aux fondements du patriarcat avec une férocité rare.
Dans un monde où les corps féminins sont constamment sexualisés, exploités et jugés, Ziga propose une réappropriation totale de la féminité. Elle parle de prostitution, de désir, de pouvoir, de violence, et ne recule devant rien pour remettre en question les normes. À travers une écriture qui oscille entre manifeste politique et témoignage personnel, Devenir chienne secoue, provoque et invite à porter nos meilleures combinaisons en lycra ultra moulantes et à revêtir notre rouge à lèvres Dior le plus rouge TDS.
Car il est grand temps d’en finir avec l’accompagnement et l’éducation que chaque femme (quels que soient le genre ou l’orientation sexuelle) endosse tous les matins pour ne pas heurter la sensibilité ou l’égocentrisme des règles patriarcales instaurées contre notre gré depuis la nuit des temps. Et pour rejoindre l’univers incendiaire d’Itziar Ziga, rien de plus simple, ça commence directement dans votre dressing.
Le corps des femmes : multinationale patriarcale ou prise de pouvoir ?
Dès les premières pages, Itziar Ziga pose une question brutale : à qui appartient réellement le corps des femmes ? Dans une société où il est hypersexualisé et instrumentalisé, elle expose l’ambivalence du pouvoir qu’il confère et des contraintes qu’il impose.
« Toutes les femmes ont cette chose pour laquelle les hommes feraient n’importe quoi, pour laquelle ils sont prêts à payer très cher. Si tu sais bien gérer la situation, tu as un immense pouvoir commercial. »
À travers cette citation, nous supposons qu’elle cherche à souligner une réalité : le désir masculin structure une économie du corps féminin. Qu’il s’agisse de la prostitution, du mariage (dans sa forme ancestrale, comprenons-nous, c’est-à-dire une dote conférée à l’homme), de la simple présence d’une femme dans l’espace public ou dans l’espace professionnel (oui, oui, vous savez ce moment où on vous a demandé de ramener des cafés à la réunion que vous étiez censée animer), ce pouvoir s’exerce partout. Le simple fait d’exister en tant que corps féminin est un combat de chaque instant.
Mais ce qui dérange profondément, ce n’est pas tant la marchandisation du sexe que le fait que certaines femmes décident d’en fixer elles-mêmes le prix. Comme elle l’écrit, « Ce qui dérange la société, chez la prostituée, ce n’est pas qu’elle couche avec beaucoup d’hommes, mais qu’elle ait mis un prix sur ce qui a toujours été gratuit ».
Alors, on ne peut qu’imaginer l’incompréhension la plus totale d’une majeure partie de la population lorsque notre corps se pare de son décolleté le plus grandiloquent intégré dans un crop top irrémédiablement court, et guess what ? Non, ce n’est pas spécifiquement pour tapiner, ni pour séduire mais tout simplement parce que nous sommes vraiment très bonnes avec et finalement, pourquoi s’en priver ? Ah oui, parce que la culture du viol n’est jamais bien loin pour nous rappeler qu’après tout, vu comme nous étions habillées, la faute nous incombe.
Être sa propre salope, et adorer ça
L’auteure nous invite à de nombreuses introspections, mais une en particulier a retenu notre intérêt. Et si être féministe pouvait également se revendiquer comme un désir ardent de multiplier nos partenaires sexuels et de jouer avec les insultes d’usages – pute, chienne, salope – non pour les subir, mais pour en faire des armes ? Alors, nous pourrions revoir de nombreux courants de pensée féministes : ceux qui renient les hommes, ceux, traditionalistes, attribués au concept de « bonnes féministes » (liste non-exhaustive)… pour embrasser celui de l’hyperféminité, par exemple celui de l’« hétéro insoumise ».
Le concept d’hétéro insoumise pourrait être défini comme une hétérosexuelle qui refuse catégoriquement de se conformer aux normes patriarcales et aux rôles de genre traditionnels qui structurent l’hétérosexualité.
Cette identité qui n’appartient qu’à elle fait front face à un patriarcat qui la souhaite victime dans sa sexualité. À son bras, tous les archétypes féminins qui rompent avec une vision binaire du genre et de l’émancipation, et c’est en meute que nos héroïnes avancent, visibles, scandaleuses pour occuper l’espace public – et c’est révolutionnaire ! Travailleuses du sexe, gouines, femmes trans, pédés folles, hétéros insoumises, femmes musulmanes voilées, toutes ces « mauvaises femmes » se serrent les coudes et épousent pleinement leur féminité non conforme, se faisant symbôle de la fierté prolétaire.
Au programme ? Un refus de la domination masculine, une identité construite en fonction de sa liberté et de son rapport à l’amour, au sexe et aux relations, une appropriation personnelle des codes liés à la féminité et à la séduction, ainsi qu’une remise en question du modèle dominant de l’hétérosexualité.
« Toute femme doit prouver à tout moment qu’elle n’est pas une pute. Comme l’affirme Helen, notre Salope Suprême : Je ne me suis jamais inquiétée de ce que les hommes pensaient, j’ai été habituée depuis toute petite à les entendre parler des femmes. Je savais que quoi que je fasse ils me traiteraient comme une pute, alors autant prendre du bon temps. »
En revendiquant ces termes, l’auteure les détourne et leur donne une nouvelle signification. Elle s’inscrit ainsi dans une tradition féministe radicale qui consiste à se réapproprier ce que la société utilise pour humilier les femmes.
Une manière de dire que l’avilissement n’est pas dans le mot, mais dans la manière dont la société en use et en abuse pour maintenir les femmes sous contrôle. Se revendiquer pute, chienne ou salope, peut alors être un acte de résistance face au contrôle, mais également un premier pas vers ce dont le système patriarcal nous a toujours privées : la sororité.
Genre et identité : quand les codes explosent
Devenir chienne ne parle pas uniquement des femmes, mais aussi du genre dans son ensemble. Ziga s’attaque aux normes de la masculinité et à la manière dont elles oppriment les hommes autant qu’elles asservissent les femmes : « Il n’y a pas d’identité plus solitaire et acculée que celle du mâle. »
Elle explore notamment la manière dont les hommes perçoivent leur propre virilité, comment l’homophobie et la peur du féminin façonnent les comportements masculins. Elle évoque la culture ourse et les contradictions du désir masculin face aux stéréotypes de la virilité.
Devenir chienne s’inscrit dans une mouvance queer en refusant les étiquettes et en brouillant les lignes entre les rôles assignés, pour finalement nous permettre une liberté de penser et d’exister pleine et entière.
Un manifeste pour une insoumission totale
Devenir chienne est un texte brut, indomptable, qui refuse de se conformer aux dogmes. En embrassant la provocation, Itziar Ziga propose un féminisme libre, irrévérencieux, qui se défend d’édulcorer la réalité du désir et de la domination.
C’est un livre qui pousse à la réflexion et qui oblige à interroger nos propres représentations du sexe, du genre et du pouvoir. Certain.es y verront un manifeste nécessaire, d’autres une provocation gratuite.
Pour nous, Devenir chienne est une exhortation la liberté, à une volonté mordante de vivre selon nos propres codes et surtout un rappel que nous ne sommes pas seules : à toustes les chiennes, il est grand temps de mettre un terme à notre division et de nous réunir – en minijupe, en camionneuse, travestie ou qu’importe – reprenons le contrôle de nos espaces et de notre liberté.