Robin Williams, le pschologue du film « Will Hunting » de Gus Van Sant sorti en 1998 avec Matt Damon et Ben Affleck
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Vécu traumatique et usage de drogues : Entretien avec un Psychologue (part. 3/6)

Publié le 1 juillet 2024 par Maxime

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Partie 3/6 – Automédication et traumatismes

Aujourd’hui on vous partage la troisième partie d’un entretien passionnant que nous avons réalisé avec le psychologue Laurent Weber. Nous avons longuement discuté avec lui du traumatisme, du psychotrauma, des conduites addictives et de la dissociation. Découpé en 6 épisodes, afin d’en faciliter la lecture, nous mettrons en ligne chaque lundi à 8 heures pendant six semaines. On espère que vous apprécierez autant que nous ce temps d’échange.

Pour lire le premier épisode c’est ici et le deuxième c’est là.


Q. Je ne sais pas si c’est tout à fait en lien, mais ce côté automédication et le fait que les comorbidités psy soient présentes chez les personnes qui souffrent de dépendances y a ce côté automédication qui apparaît en filigrane. Ça apparaît comme une évidence après tout ce qu’on vient déjà de se dire. Tu souffres de troubles psychiques, diagnostiqués ou non. Tu ne te comprends pas, on ne te comprend pas, ta confiance en tes proches est toute relative. La confiance en l’institution peut être proche de zéro, donc tu fais comme tu peux, avec les moyens détournés les plus facilement accessibles.

Tiens, parlons un peu définition du trauma. C’est quoi un traumatisme pour toi ? 

C’était ma prochaine question, une fois qu’on aura clôt le volet automédication.

Eh bien dis-moi si tu veux bien, après je rebondirai. Ta définition sera notre point de départ. 

Pour moi, un traumatisme quand il n’est pas uniquement physique, donc quand ce n’est pas « je me suis pété la cheville », c’est une épreuve qui laisse une marque. Ça peut être une épreuve qui est arrivée une fois ou alors une petite épreuve qui est arrivée plusieurs fois. Une petite douleur, un caillou dans la chaussure qui est resté sur le long terme et qui a fini par faire une grosse crevasse et que le caillou est rentré à l’intérieur. Quelque chose qui marque pour toujours mais sans forcément se rendre compte au début qu’on a mal. Moi, j’ai eu beaucoup de piercings, et j’ai une anecdote à la con. Je me suis fait percer les tétons quand j’étais plus jeune. Et en fait, ça me faisait une douleur affreuse que je n’arrivais pas à identifier parce que la douleur faisait partie de moi. Et un jour, j’en ai eu marre que ce soit toujours rouge, que ça fasse des croûtes, etc. Et à l’instant où j’ai enlevé le bout de métal de mon téton, j’ai fait « Ahhh ! mais en fait c’était pas du tout une sensation normale c’était de la douleur ! ». Je trouve qu’on se fait assez rapidement à la douleur, ça dépend je pense de la puissance de la douleur. On est capable de se dire pendant hyper longtemps que quelque chose est normal sur une durée longue ! Je l’ai gardé 4 ans, ce piercing, une durée affreusement longue avant de se dire « ouais, on est mieux sans quand même ». Donc pour moi, c’est un peu ça un truc qui laisse une marque, qu’on est forcément conscient que ça a laissé une marque et qui finit par se réveiller un jour ou l’autre.

Ok, dans ta définition, il y a ce qu’on retrouve très souvent. Tu penses « épreuve », événement, un truc brut qui vient te percuter violemment. Mais cette vision-là fait l’économie de l’environnement dans lequel l’épreuve s’est faite. Une épreuve, prendre un coup de boule par exemple, ça peut être traumatique. Mais qu’est-ce qui fait que ça l’est ? Si je prends un coup de boule alors que je suis avec des amis, de la famille, des gens que j’aime qui savent déployer de la consolation, ce n’est pas traumatisant ! J’ai mal, ils me soignent, me rassurent, m’aident à parler de l’événement, de ma responsabilité potentielle, de ma honte potentielle, ils m’aident à évaluer l’événement, et m’aident à penser à la suite. 

Parfait, c’est gagné, c’est plié, je ne vais passer par toutes les étapes du psychotrauma ; il s’agit d’une épreuve !

Autre formule. Je prends un coup de boule, je vais avoir mal au nez, ça va être terrible. Je vais me dire « Mais qu’est-ce qui m’est arrivé ? Le mec a ouvert la porte, il m’a mis un coup de boule, il est reparti, c’est horrible ! ». Et si les gens autour de moi sont sidérés, et/ou qu’on me dit « bon, Laurent ça va, tu fais 1 mètre 90, c’est juste un coup de boule, c’est pas un coup de couteau, on s’occupe de ton nez puis voilà ! ». Si personne ne parle de la honte que je pourrais ressentir, si personne ne s’occupe de moi, de ma sidération, eh bien je pourrais hésiter à sortir par la suite, avoir peur de le recroiser dans la rue, avoir des souvenirs ou des flashs de lui. 

Pour peu qu’il ait un jogging Adidas, à chaque fois que j’en croise un, sans m’en rendre compte, un truc violent se réveillera chez moi. Ce coup de boule deviendra un événement traumatique.

Je reviens dans le premier cas. Non seulement les amis ont pris soin de moi, mais y’en a aussi un qui est sorti, qui a filmé, qui a chopé une plaque d’immatriculation et qui me dit « demain, on va porter plainte car j’ai sa plaque ». Le gars est interpellé, conformation où je ne sais pas trop comment ça se passe, je peux décider de porter plainte, etc. Enfin bref, y’a un truc intelligent fait par la justice et les deux composantes essentielles pour qu’un événement violent ne devienne pas un traumatisme sont réunies ; on m’écoute, on me croit, on prend soin de moi d’une part, et « le monde s’en occupe » d’autre part.

Quand je vis un événement traumatique, il y a la réponse de mon organisme : l’amygdale qui est au cœur du cerveau, quand je vis un événement trop violent, pour supporter cette violence-là, balance à fond d’adrénaline et de cortisol. Ça permet de tenir, on se met alors en mode protection, et on fait face à l’événement plus facilement, pour résumer. Mais quand l’événement est TROP violent, l’amygdale, qui joue son rôle d’alarme, est saturée. À ce moment-là, elle disjoncte, elle ne joue plus son rôle, et le sujet est pris dans la sidération, il est figé, physiquement et psychiquement, il ne peut plus répondre à l’événement violent. Il est là, il regarde et ne peut rien faire. 

D’ailleurs à ce moment-là, certains diront (agresseur, spectateur, etc) « Oui mais tu ne disais rien, donc même s’il avait sa main dans ta culotte nous on s’est dit c’est ok ». Ce n’est pas parce qu’on dit rien que c’est OK. On ne dit rien car on est sidéré, on est tétanisé, on n’a plus le contrôle, le fameux contrôle ! 

Donc ça c’est la réponse d’un organisme face à un événement traumatique. Mais il y a aussi la réponse de l’environnement. Celui-ci peut aussi disjoncter ! Rester figé, ne pas réagir, chercher à oublier. Pour moi, il faut les deux pour fabriquer de la dissociation complexe. Il faut les deux ! Même si tu déploies du soin, si le monde autour ne réagit pas, l’histoire n’est pas finie. Pardon d’insister, mais si l’environnement ne peut/veut pas entendre, protéger, juger, essayer de comprendre et sanctionner – et je ne veux pas dire sanctionner au sens de punir mais sanctionner au sens de reconnaître –, l’histoire traumatique n’est pas finie. « Monsieur, vous avez mis un coup de boule, ça ne va pas le faire. Que s’est-il passé pour vous ? Nous voulons comprendre, pour vous aider et pour mettre en place ensemble des choses pour éviter que ça se reproduise. » Je pense qu’il y a un vrai accompagnement des auteurs de toutes formes de violences à construire. 

Punir, enfermer, condamner, nous le savons depuis longtemps, c’est ridicule, sauf dans certains cas, mais on sort de mon domaine de compétence, là. Je me questionne encore et toujours à propos de certains. Les « trouduc » comme PPDA et bien d’autres, ces gens plus ou moins « puissants », à des places clés disons, qui usent et abusent, je me demande à quels monstres ils ont eu affaire, eux…

Le fruit d’un système qui crée un monstre ?

Exactement, et qui donne tout pouvoir à des gens qui occupent des places clés dont la société a besoin. Et qui, eux, se perdent là-dedans, se disent alors « J’ai tout pouvoir ? Mais c’est bon les gars, tout le monde va y passer, c’est moi qui décide ici ». 

Dans la plupart des cas, quand les gens posent des actes violents, sont violents avec eux-mêmes mais aussi avec les autres, ils ont eux-mêmes souvent leurs propres vécus traumatiques et dissociatifs (encore une fois, on parle ici de trauma complexe). 

Il y a fort à parier que la société n’a pas envie de l’entendre parce qu’elle pense qu’en disant ça, que dans cette logique de répétition-là, on tenterait d’excuser les bourreaux. Mais pas question d’excuser, on n’en est pas là, c’est le monde qui verra ! Nous ce qu’on veut, c’est essayer de comprendre, d’où ça vient, comment ça s’est construit, etc.

Il y a de la violence, puis de la violence qui fait violence et du coup, qui fait violence, etc. Ça devient alors une violence systématique, systémique, inter ou transgénérationnelle, etc. Du coup, accompagner les bourreaux devrait être la base. Mais la société n’en a pas envie, et il y en a même qui ont envie de rétablir la peine de mort… Peut-être qu’ils veulent tuer les monstres, ne plus les voir, s’en débarrasser, parce que ça parle de leurs propres monstres, allez savoir !

Et donc un traumatisme, c’est comme tu l’as dit, comme on le dit souvent, c’est un événement  trop violent pour qu’il soit traitable par un organisme, et moi j’ajouterais donc pas traité non plus par un environnement. Car si l’organisme ne peut pas traiter mais que l’environnement prend soin, comme pour le coup de boule, eh bien c’est gagné, on ne rentre pas dans une spirale psychotraumatique. 

Cela me fait penser au dernier livre d’Amélie Nothomb. « Psychopompe », qui vaut ce qu’il vaut, peu importe, mais dans lequel elle raconte une anecdote d’enfance, plutôt terrible, où elle se fait agresser sexuellement par 4 hommes au Bangladesh. C’est écrit avec pudeur, très brièvement, et le livre raconte que la seule réaction de tous les adultes qui l’entouraient est venue de sa mère qui, la ramassant, lui a dit « pauvre petite » et c’est tout. Rien d’autre, jamais. En interview, l’autrice est revenue sur ce passage et a raconté que sans ça, sans ces deux mots finalement de réconfort, elle serait devenue folle. Ce sont ses mots. C’est intéressant ce tout petit lien.

C’est indispensable, sans ça il n’y a pas ou peu de réparation. Mais quand on voit la manière dont la justice traite tous les cas de violence et d’agression… bah franchement y’a du boulot !

Y’a du boulot encore pour les psys !

Pour nous tous !


La suite la semaine prochaine ! Merci d’avoir lu jusqu’ici.

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