Betty Buckley la psychiatre du film « Split » de M. Night Shyamalan sorti en 2016 avec James McAvoy et Anya Taylor-Joy
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Vécu traumatique et usage de drogues : Entretien avec un Psychologue (part. 4/6)

Publié le 8 juillet 2024 par Maxime

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Partie 4/6 – Violences et millefeuille 

Aujourd’hui on vous partage la quatrième partie d’un entretien passionnant que nous avons réalisé avec le psychologue Laurent Weber. Nous avons longuement discuté avec lui du traumatisme, du psychotrauma, des conduites addictives et de la dissociation. Découpé en 6 épisodes, afin d’en faciliter la lecture, nous mettrons en ligne chaque lundi à 8 heures pendant six semaines. On espère que vous apprécierez autant que nous ce temps d’échange.

Pour lire le premier épisode c’est ici, le deuxième c’est là et le troisième ici-là !


Q. C’est marrant, enfin marrant… C’est pas marrant, mais je trouve que le système judiciaire, la justice qui fait ce qu’elle peut avec les moyens qu’elle a, traite avec une violence égale les victimes et les agresseurs. Faire une confrontation victime/agresseur par exemple : l’agresseur, bon ça va, mais la victime va lui faire revivre l’agression. Qu’est-ce qu’on note à ce moment-là, est-ce qu’il y a un score de dissociation ? Une grille de lecture de ce moment-là : la victime regardait ses pieds, la victime parlait avec une voix abaissée de 3 tons. Qu’est-ce qu’on attend de ce moment-là, pourquoi on en a besoin ? 

La justice change un tout petit peu. Pour en avoir discuté avec un juge en particulier, avec des avocats à des moments donnés, il se trouve que maintenant, les experts  judiciaires, les psys, certains commencent à parler dissociation quand ils traitent les affaires. Les professionnels commencent à donner des clés à la justice, qui ne comprend souvent rien en matière de passage à l’acte violent, pour leur permettre de comprendre, de penser « degrés de responsabilité », etc.

Les juges et les avocats disent « Ok les gars, on a bien compris, vous nous dites qu’il était déconnecté, que c’était un passage à l’acte violent, une réminiscence de ce qu’il a vécu… Mais comment on juge ça ? » 

Ben on va faire des injonctions de soin ! En fait, c’est compliqué parce que tout le système n’est pas organisé autour des injonctions de soin. Les gens partent avec leur injonction de soin, puis il ne se passe rien. La plupart n’y vont pas et la justice est bien emmerdée aujourd’hui pour traiter ces cas-là. On peut plaider la folie, ça on a compris, mais c’est facile de plaider la folie car on a mis les fous dans un « ailleurs ».

Oui, un immense panier !

Oui, un immense panier assez déconnecté du reste. Mais bon, il y a de moins en moins de « fous » au sens où ça s’est construit à travers l’histoire. Il y a de plus en plus de gens dissociés. Il y a de moins en moins de schizophrènes, il y a de plus en plus de gens dissociés. 

Ce n’est pas qu’une question de diagnostic, ça ?  

Les deux, je pense. C’est certainement une question d’histoire et de société. Chaque société fabrique ses symptômes, et aussi ses diagnostics. Quand certains soignants voient des tableaux cliniques où règnent le chaos et la « division », ils se ruent sur le diagnostic de schizophrénie. Un peu moins qu’avant sans doute, mais il y en a encore aujourd’hui, tu fais deux-trois passages à l’acte, tu dis que tu entends des voix et puis boum, schizophrénie. Moi je vois ça tout le temps, des jeunes, des moins jeunes, c’est terrible !

Moi, je suis très attentif à la question des traumas qui se cachent derrière des diagnostics à la va-vite, les diagnostics construits à partir de symptômes orchestrés par le DSM (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux ndlr). On demande aux gens de parler de leurs symptômes, mais on n’approfondit que très rarement la question de leurs traumas. 

« Ok, vous me dites que vous avez vécu le Vietnam, mais avec qui vous en avez parlé, comment vous avez traité ça avec les médecins ou les psy que vous avez rencontrés ? ». Et le nombre de fois où les gens me disent « Je ne l’ai jamais dit » ou « Je l’ai dit mais il ne s’est rien passé ».

Des personnes violées, admises en psychiatrie, qui l’ont dit au début de leur hospitalisation, et pour lesquelles il ne s’est rien passé ensuite. Pendant tout le temps de l’hospitalisation, on leur a proposé 1 001 choses (traitement, atelier…), sans doute que les équipes ont discuté 1 001 fois de leurs viols, mais personne n’a travaillé directement la question du psychotrauma. Personne ne leur a dit « On est navrés, on a su que vous aviez vécu ça, c’est une épreuve, nous allons vous proposer un travail adapté », et déployé l’humanité et la tendresse nécessaire pour enclencher du soin. 

Peanuts !

Walou, on ne sait pas faire. Il faut quand même du temps, de la formation, un peu de sensibilité, et tout le monde n’en a pas, du temps, de la formation et de la sensibilité. Le travail sur le psychotrauma est un travail difficile, il faut le reconnaître, mais c’est un travail essentiel !

Et un vécu traumatique, ça peut aussi être un truc au long cours, plus pernicieux sans violence physique ? 

Oui. 

Comme un surnom qui nous a fait du mal dans notre enfance, répété comme un mantra par les parents ? 

Ouais. Ou grandir dans un pays ou une zone de la planète violente. Où des fois des gens arrivent avec des machettes ou je ne sais pas quoi. Où le niveau de sécurité alentour est très très bas. L’événement traumatique qui s’inscrit dans un contexte personnel et environnemental plus ou moins sécure, c’est déjà une sacrée épreuve à surmonter, mais dans un environnement dangereux, dans un groupe, une famille, où le danger est parfois permanent, c’est terrible, c’est une épreuve qui abîme beaucoup.

Si tu vas vivre à Haïti ou si tu vas passer deux mois à Haïti, il y a de fortes chances que la moindre gifle soit traumatisante à vie. Parce qu’autour, c’est comme s’il y avait zéro protection. Il y a un tas de manières de « catégoriser » les traumatismes. Une première distinction, c’est de distinguer traumatisme simple et complexe. 

Simple : un ou plusieurs événements bien identifiés vécus après l’adolescence disons, qui ont pu être racontés, mais qui nous maintiennent dans un état de mal-être et d’angoisse. On s’en occupe assez bien aujourd’hui avec un tas de thérapies qui ont beaucoup de succès. 

Les complexes sont plutôt des traumatismes caractérisés par une répétition de violences. Ils deviennent complexes aussi lorsqu’ils ont été vécus dans l’enfance, parfois même dans la petite enfance. Il s’agit aussi souvent de traumas qui n’ont pas été entendus, qui n’ont pas été traités, qui se sont répétés. C’est un des destins dramatiques des traumatismes, c’est qu’ils se répètent. Il y a comme un petit monstre, né de la violence du trauma, qui est à l’affut, qui se remet dans des situations de merde, comme pour résoudre l’énigme, en répétant la violence. 

Ensuite, il y en a qui distinguent différents types de traumatismes. Et ces types de traumatismes, ils les différencient en y amenant un peu autre chose que des événements. En y amenant l’environnement dans lequel ça s’est fait : vivre dans un pays en guerre, dans une famille insécure. La notion de sécurité intervient beaucoup : plus il y a de sécurité autour de moi, plus les événements traumatiques que je vais vivre pourraient ne pas l’être. Ou le seraient un peu moins. 

Trois éléments sont à considérer pour définir et traiter les traumatismes : la notion de sécurité, la réponse de l’environnement, et la « construction » du Sujet, disons, comment un événement violent s’est inscrit en moi. Ce sont ces trois paramètres qu’il faut articuler les uns aux autres, et qui définissent le « type » de traumatisme. 

Sachant qu’il peut y avoir des mille-feuilles.

C’est souvent le cas. Une enfance un peu insécure, voire légèrement violente, ensuite tu rajoutes des événement traumatisants, et là-dessus, tu rencontres une société injuste qui fabrique de la précarité, qui met au banc des accusés les plus démunis ou les minorités, etc. Bon bah là, tu as le mille-feuille, la totale. L’histoire, l’actuel, l’environnement… Comment tu t’en sors ? C’est une bonne question. Le monde du soin commence tout doucement à comprendre, mais ça remet en question tellement de choses, sur un plan pratique, théorique, institutionnel, que la plupart n’ont pas envie de bouger. 

Sauf, et ça c’est intéressant, quand les gens vivent eux-mêmes des traumatismes. Là, tu as le Père Castor, qui jusque-là était le dernier des fils de chien, le jour où lui s’en prend une grosse, alors là, il faut changer le monde, parce qu’il l’a vécu, parce que ce qui était invisible pour lui avant devient concret, l’angoisse, le rejet, l’absurdité du système judiciaire, etc.

Donc, les consos là-dedans, elles sont utiles, indispensables même souvent, légales ou illégales. La nécessité absolue lorsque les vécus traumatiques sont importants, c’est de diminuer le mal-être, les symptômes, les manifestations d’angoisses, j’en passe et des meilleures.

On est d’accord que la personne peut le ressentir sans s’en rendre compte ? Sans identifier, sans réaliser, sans mettre les mots sur le problème ?

Ah ben oui, clairement. Et c’est là que la question de l’environnement est primordiale, environnement amical, familial, médical, qui peut ne pas vouloir entendre ou qui ne peut pas entendre, parce que c’est sidérant pour beaucoup. Parce que quelqu’un qui a mal sans pouvoir nommer sa douleur, eh bien dans un environnement adéquat, attentif, c’est remarqué. Autour de la personne traumatisée, dissociée, certains relèvent des comportements différents, sentent l’angoisse, le mal-être, et puis questionnent, réconfortent, tentent d’ouvrir le champ de la parole. Et ça s’est un peu compliqué parce que ça appartient à nos modernités d’aller vite, de ne pas s’intéresser trop à la peau de l’autre, à ce que ressent l’autre. Et c’est complexe donc, parce que tout ça amplifie le phénomène de dissociation, ça le renforce.


La suite la semaine prochaine ! Merci d’avoir lu jusqu’ici.

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