Sarah Paulson la psychologue du film « Glass » de M. Night Shyamalan sorti en 2019 avec Samuel L Jackson, Anya Taylor-Joy, Bruce Willis et James Mc Avoy
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Vécu traumatique et usage de drogues : Entretien avec un Psychologue (part. 6/6)

Publié le 22 juillet 2024 par Maxime

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Partie 6/6 – Des références documentaires pour parler des traumatismes ? 

Aujourd’hui on vous partage la dernière partie d’un entretien passionnant que nous avons réalisé avec le psychologue Laurent Weber. Nous avons longuement discuté avec lui du traumatisme, du psychotrauma, des conduites addictives et de la dissociation. On espère que vous apprécierez autant que nous ce temps d’échange.

Pour lire le premier épisode c’est icile deuxième c’est làle troisième ici-là, le quatrième lô et le cinquièèèèème !


Q. A part « les chatouilles », « Split » et « notre besoin de consolation est impossible à rassasier » est-ce qu’il y a des références culturelles que tu conseilles sur ce sujet là ? 

R. Ah mais j’en ai mille. Mais alors je vais essayer de cibler des choses qui sont partageables, importantes mais pas difficiles à voir. Tu vois « les chatouilles » c’est une super référence, mais t’as pas envie d’angoisser les gens.  

Moi je le dis toujours en formation : « Attention au film Les chatouilles ! Parler trauma et s’intéresser au sujet, c’est déjà prendre un risque.  Allons-y doucement, prenons soin les uns des autres, parce qu’il s’agit d’un sujet qui peut remuer ! ».

Alors y a « Will Hunting », année 90, Matt Damon. On voit le parcours d’un gamin complètement dissocié qui s’est fait fracasser quand il était petit. Bon là c’est à l’américaine donc forcément il est surdoué. Il est complètement coupé de lui, des autres, de la société. Le problème c’est que tous les gamins qui ne sont pas surdoués ne pourront pas s’identifier. La question du film c’est : « Est ce que tu dois utiliser tout ton potentiel ? ». 

Tout le monde a envie de répondre par l’affirmative, ou presque. Mais en vérité la vraie question c’est : « Comment utiliser son potentiel vital lorsque tu souffres de traumatismes complexes ? ». Donc il a un cerveau incroyable, quelqu’un le repère, lui propose d’en faire bon usage, mais remarque qu’il est un peu en galère sur un plan psychique. Donc il l’envoie voir un psy.  

Et là c’est génial c’est très proche de la réalité, comme dans « les chatouilles » d’ailleurs. Elle va voir sa psy, c’est super, c’est sympa, puis quand elle commence à lui raconter ce qu’elle a subi, l’autre lui dit : 

« Ah ! Ben je vais vous orienter vers un confrère, moi je n’ai pas l’habitude de ces trucs lourds là, je ne suis pas spécialisée… ». 

« Comment ça un confrère ? C’est à vous que j’ai commencé à raconter, c’est en vous que j’ai confiance, j’irai voir personne d’autre ! ». 

Dans « Will Hunting » on voit comment il épuise les super psy de l’époque. Les psychanalystes, les humanistes et tout ce que tu veux. C’est une caricature et il les fait tous plier au premier entretien, parce qu’ils ne comprennent rien au trauma. Puis il rencontre un thérapeute adapté, et là il le met au travail et il lui parle dissociation. Il y a une scène, qu’on peut revoir plein de fois et qui pour moi est quasi parfaite. C’est celle ou à la fin du film, après l’avoir écouté donc rassuré et sécurisé pendant des heures, le monstre du gamin sort de son terrier : on voit alors comment le psy fait pour accueillir ça, et on comprend que tout ce qui a précédé c’était pour en arriver précisément là ! « C’est pas de ta faute » lui répète-t-il. Il insiste et là tu vois Matt Damon qui commence à avoir un ressenti, un truc physique, et son visage change : la violence qu’il a vécu, qui était tapie-là tout au fond de lui, et qui attendait d’être accueillie, d’être entendue, consolée, peut enfin être « soignée », transformée. Et le psy sait très bien ce qu’il fait, il reste solide, il accueille, il le prend dans ses bras, et pour la première fois Matt Damon peut enfin pleurer son passé, cette violence subie. Je trouve cette scène très belle.

Ce film sur le trauma et la dissociation est super parce qu’il raconte un peu quelles sont les conditions dans lesquelles se déploie, selon moi , un travail adapté au psychotrauma. 

Il y a une bd aussi, de Manu Larcenet, ce mec est passionnant à lire. Alors lui il est diagnostiqué bipolaire. LE diagnostic de la dissociation selon moi. Donc lui il dit sa bipolarité, son envie de crever. Il représente ça très bien dans certains ouvrages plus que dans d’autres. Et puis il y a son œuvre phare, « Blast » qui est top mais qui finit pour moi en flop parce qu’il nous parle de schizophrénie, alors que durant les 4 tomes il nous donne à voir la dissociation dans toute sa splendeur, la dissociation traumatique, pas celle de la schizophrénie. Je pense que Manu Larcenet est dissocié mais que personne ne lui a dit, enfin j’imagine, je me fais mon film encore… Il dit lui-même « je fume, je bois, j’utilise des drogues, des médicaments, des anxiolytiques, des antidépresseurs… et puis un jour alléluia on m’a dit que j’étais bipolaire ». 

Voilà on lui a posé un diagnostic, c’est super. Il est moins en galère : c’est génial. Et on lui a dit « tu sais les consommations et les envies de crever ça fait partie de la bipolarité, prend bien soin de toi et bonne journée »

« Et prenez ces médicaments, merci »

Mais si on s’arrête là, ça veut dire qu’il n’y a pas de causes. Qu’il n’y a rien à approfondir, qu’on peut naître comme ça. Lui il dit « à 8 ans j’avais peur d’ouvrir les yeux le matin, j’avais peur qu’il me manque un  bras ou une jambe ». 

Pour revenir sur la définition du trauma, toute petite parenthèse, ça peut être aussi des choses héritées, trans ou inter générationnelles. On peut vivre avec des personnes dissociées et nous pouvons en hériter en quelque sorte. Sans trop savoir comment ou pourquoi, les messages passent d’une manière ou d’une autre. 

Un jour j’ai pris un gars en stop, un gars qui bossait sur la génétique à Harvard. Je lui ai demandé « Harvard, génétique… écoute je me demande si les traumas, génétiquement, ça peut laisser des traces ? ». Il me répond « bien évidemment ! Pendant longtemps on pensait que l’ADN c’était un truc qui était là et qui ne bougeait pas à l’échelle d’une vie. Mais oui, les évènements traumatiques modifient des séquences de protéines de l’ADN. Donc oui des traumas qu’ont vécu des personnes ont des effets sur le génome ».

Une autre BD, exceptionnelle « Moi ce que j’aime c’est les monstres » de Emil Ferris.

Ah oui je ne l’ai pas lue encore, je trouve que c’est trop dense ça me fait un peu peur. 

Oui dense comme une vie de trauma. Dense comme une vie dans un quartier où tout le monde est traumatisé, dans une grande pauvreté, et où là-dessus on fabrique du trauma à gogo. On retrouve cette sorte de densité dans cette BD, Emil Ferris dit que les monstres représentent une vérité brute, de ces vérités que personnes ne veut voir, entendre…

En termes de références c’est tout ce qui vient, même des références théoriques ? 

Comme tu veux !

Alors y a une autrice française qui s’appelle Françoise Davoine qui est pour moi une maîtresse en la matière, avec son mari qui est décédé maintenant qui s’appelait Jean Max Gaudillière. Ils ont travaillé sur les traumatismes tous les deux. Psychanalystes mais ni psychiatres ni psychologues. Ils ont travaillé sur les traumas en allant chercher dans le monde entier. Elle a une formation littéraire et philosophique, je la trouve brillantissime ! Ça fait partie des rares choses que j’ai eu besoin de lire plusieurs fois pour trouver des sens nouveaux. 

Il y en a deux particulièrement « Histoire et trauma La folie des guerres » c’était ma bible à une époque. Et l’autre c’est « Don Quichotte, pour combattre la mélancolie » qui est un des destins du trauma, la mélancolie. On a beaucoup parlé des symptômes que provoque le trauma mais y a aussi des gens qui finissent par baisser les bras. Par rendre les armes, basta ! Du coup c’est la pente mélancolique, par exemple : « moi j’y crois plus, je ne crois plus que ce soit guérissable, je ne crois plus en ce monde de fou dans lequel on vit, je ne crois même plus en l’être humain. Les gars, vous voulez continuer à vous battre, soit, mais moi j’arrête ».

Une autre référence, qui en amène un tas d’autres, c’est  le numéro 272 de novembre 2022 du magazine “santé mentale” à propos du trauma, et qui est parfait je trouve. Y figure un article de Françoise Davoine d’ailleurs. Que des auteurs très pertinents, avec différentes approches. Il est particulièrement bien illustré pour un magazine à destination des professionnels. Il suffirait que tous les professionnels de santé le lisent, et je suis certain que le monde irait déjà mieux ! Il faut le faire acheter et le filer à tout le monde. 

Ensuite pour ceux qui veulent comprendre les violences intimes il y a Muriel Salmona. Vachement bien ! Beaucoup de contenus sur les violences, elle explique très bien les violences, les mécanismes à l’œuvre, les agressions sexuelles, les violences faites aux femmes, on trouve un tas de vidéos d’elle sur la toile. 

Et puis cette petite BD aussi, « le trauma cette chose étrange ». Parfait pour ouvrir le champ de la parole à l’endroit du trauma, même aux enfants. On devrait en distribuer au collège ! Au lieu de nous emmerder avec Freud et Nietzsche en terminale, on devrait nous filer des trucs comme ça, on devrait nous parler trauma. 

Et bien, merci beaucoup pour ce long entretien. Merci de nous avoir donné de ton temps. 


C’est la toute dernière partie de cette dense conversation avec le génial psychologue Laurent Weber, merci de nous avoir lu.

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