
Le mois de juin, c’est un marqueur fort pour la réduction des risques et une date mondiale qui résonne : le 26, celle de Support. Don’t Punish, qui réaffirme le droit des usager.es à bénéficier de l’accès aux soins, dans une logique de bienveillance et d’accompagnement. Entre criminalisation, stigmatisation, jugement, les publics concernés ne semblent pas avoir le vent en poupe en ce moment dans les discours politiques et en conséquence, dans les mesures prises. L’occasion pour nous de refaire un historique de la réduction des risques et de son caractère indispensable pour lutter contre l’exclusion, pour refaire de la justice sociale une boussole indispensable de l’accès aux soins.
UNE RÉPONSE POLITIQUE, HUMAINE ET URGENTE
Née dans le contexte des années 1980-90, la réduction des risques incarne une réponse politique, humaine et urgente. Alors que l’épidémie sida fait rage, les communautés impactées, parce qu’elles subissent différents stigmas (racisme, homophobie, toxicophobie…), ne semblent pas mériter l’intérêt des classes politiques dans ce qui deviendra une des crises sanitaires des plus meurtrières. L’épidémie semble hors de contrôle.
Parmi les publics touchés, les usager.es de drogues qui, en plus de se placer souvent à l’intersection de plusieurs communautés, ne disposent pas de matériel, les contraignant la plupart du temps à partager des seringues usagées.
Face au déni des institutions, la réduction des risques voit le jour. Elle ne sort ni d’un labo, ni d’un cabinet ministériel – c’est une réaction vitale, née du terrain, de la crise, et de la solidarité entre personnes concernées. Usager.es, soignant.es, proches, activistes, toustes participent à cette lutte pour faire passer un message clair et faire changer de paradigme : prioriser la santé, pas la morale.
Petit à petit, ces actions militantes, bien qu’illégales, vont forcer les pouvoirs publics à réagir. Des associations telles que Médecins du monde et Act Up travaillent sur le terrain et éveillent les consciences malgré les tabous, démontrant qu’une autre approche est possible. La bataille idéologique est lancée ! Ainsi, la réduction des risques naît de manière « officielle » en 1987, avec le décret Barzach autorisant la vente libre des seringues en pharmacie à titre expérimental afin de limiter la transmission du VIH, une « tolérance d’État » à défaut d’un réel cadre légal. Deux ans plus tard, les premiers programmes d’échange de seringues (PES) font leur apparition.
VERS DES DROITS POUR LES USAGER.ES DE DROGUES
En 1992, des structures comme Asud (Autosupport des usagers de drogues) voient le jour, visibilisant les usagers de drogues et militant pour la défense de leurs droits.
En 1995, le gouvernement change de prisme : la méthadone bénéficie d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) comme traitement substitutif de la dépendance aux opiacés (TSO), mais seulement dans les centres de soins spécialisés. Elle sera suivie en 1996 par le Subutex®, pouvant être prescrit par les médecins généralistes, toujours avec le même objectif : sortir de la dépendance et limiter les risques d’overdoses et d’infections. Cette étape marque un tournant et une réelle avancée pour les droits des usager.es, même si l’accès aux TSO reste inégal en fonction des territoires – les zones rurales étant les plus victimes des déserts médicaux – et du bon vouloir moral des médecins, encore nombreux à refuser de « prescrire de la drogue aux drogués ».
En 2004, après des décennies de combat acharné, un cadre légal clair est enfin posé avec le vote de la loi de santé publique qui fait de la réduction des risques une mission d’État, créant notamment des Caarud (Centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues) financés par des fonds publics. Ces centres permettent d’accueillir les usager.es et de leur proposer du matériel de consommation, des informations pour réduire les risques, mais aussi des suivis sanitaires et sociaux, et de lutter ainsi contre la déshumanisation et la discrimination..
En bref, l’État reconnaît que l’usage existe et qu’il faut l’accompagner. Tout le plan semble alors jusque-là fonctionner à peu près.
SUPPORT DON’T PUNISH, MAINTENANT ET POUR DEMAIN
En 2016, la première salle de consommation à moindres risques (SCMR), désormais connue sous le nom de HSA (Halte soins addictions), ouvre ses portes à Paris, accolée à l’hôpital Lariboisière, suivie de près par une autre située à Strasbourg. Lancées dans le cadre d’une expérimentation, elles permettent l’usage dans un cadre sécurisé, avec un personnel médical formé. Malgré les enquêtes scientifiques démontrant qu’il s’agit d’un outil efficace de santé publique, seules 4 villes françaises devaient en bénéficier mais tous les autres projets ont finalement avorté. Comme à Marseille, où le projet est mort dans l’œuf par simple contestation des riverains, amplifiée par une campagne de désinformation menée par les réactionnaires et les promoteurs immobiliers. Pire encore, les dispositifs déjà existants se voient également menacés, que ce soit par les coupes budgétaires ou la montée des discours conservateurs tendant à culpabiliser les usager.es.
D’autant plus inquiétant que 2025 pourrait sonner la fin de l’expérimentation des HSA qui devait permettre de les généraliser… ou pas.
En effet, le vent tourne, et ces dernières années témoignent davantage de reculs, notamment idéologiques, que d’avancées. Par exemple, la mise en place de l’amende forfaitaire délictuelle (AFD) qui permet à la police de sanctionner directement à hauteur de 200 euros toute personne pour usage simple de stupéfiants, avec inscription au casier judiciaire. Un dispositif très critiqué pour son impact discriminatoire.
D’où l’importance en ce joli mois de Support. Don’t Punish de réaffirmer les valeurs qui nous lient, celles de la bienveillance, de l’écoute et de la solidarité, également portées par les collectifs d’usager.es et leur parole militante, mais aussi la nécessité du soin par les pairs, tout en restant vigilant face aux attaques répressives, à la moralisation, et aux freins budgétaires. Pour que l’accès aux soins reste une priorité, même pour les publics les plus précaires et les plus vulnérables, en défendant le droit de vivre, quelle que soit la consommation.
En bref, la réduction des risques, ce sont des décennies de lutte et de combat sillonées de mort.es et une voix qui s’élève contre les discriminations, l’invisibilisation et la déshumanisation pour que cela n’arrive plus jamais. C’est un parcours de vie, de droits, de combat, et de soins qui mérite d’être défendu.