Alcoolique – Jonathan Ames & Dean Haspiel. Couverture de l'édition collector publiée par les édition de Monsieur Toussaint Louverture
Alcoolique – Jonathan Ames & Dean Haspiel. Couverture de l'édition collector publiée par les édition de Monsieur Toussaint Louverture

Alcoolique – Portrait d’un gars comme les autres (DryJanuary 2025)

Publié le 24 janvier 2025 par Maxime

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Cet article parle de : #culture #histoires-vraies #livres

Une BD d’une grande beauté et d’une grande sensibilité, ça vous dit ? C’est le sujet d’aujourd’hui. Malgré un titre qui ne laisse pas planer le doute, Alcoolique parle de bien plus que d’alcool.


Le livre s’ouvre sur une scène étrange à l’arrière d’une voiture. Une vieille dame toute petite semble décidée à s’acoquiner avec le héros, les flics interviennent. C’est la panique et Jonathan file à l’anglaise, se cache sous un ponton où il s’enterre dans le sable. Ce faisant, il revient sur sa première beuverie. 

Vers 16 ans, lui et son ami Sal se mettent une première caisse. Pas spécialement populaires, ils trouvent dans l’alcool une sorte de potion magique qui rend cool. Jonathan vomit à chaque fois, Sal le ramène et prend soin de lui. Cela devient une évidence, une habitude. Ses performances scolaires n’en pâtissent pas et ses parents ne se doutent de rien. Cela devient une habitude, avec le recul Jonathan aurait aimé que ses parents se rendent compte de quelque chose mais le déni familial est puissant et total (et pratique). 

Un matin, pif paf pouf, Sal et Jonathan se réveillent au lit. Peu de souvenirs mais Jojo aimerait éventuellement remettre le couvert, avec option souvenirs. Hélas, avant qu’il ne puisse le dire Sal met un stop à toute discussion autour de ce sujet. Épisode clos, efficace l’omerta. 

Puis les années passent, une gueule de bois sans fin. Finalement, les deux amis deviennent plus distants. Jonathan ressent le manque et rencontre une fille, puis deux. Le départ à la fac enterre ensuite pour de bon ces quinze ans d’amitié et chacun va vers où la vie le porte.

Après avoir lu Las Vegas Parano et Jack Kerouac, il se met en tête d’écrire et de voyager à travers les États-Unis en autostop. Finalement, après avoir obtenu son diplôme, il bosse dans une bibliothèque et écrit son premier roman. Ses parents meurent dans des circonstances tragiques et un chagrin d’amour plus tard, le voilà en France afin de vivre l’aventure. Toujours plus d’alcool, parfois de la coke, pas mal de prises de risques et v’là-ti pas qu’un jour il s’offre du repos dans une clinique pour terrasser son addiction à l’alcool… 

BIEN PLUS QU’UN LIVRE SUR LA SOBRIÉTÉ

N’allez surtout pas croire qu’il s’agit encore d’un livre sur la quête de sobriété (comme Les imbuvables, par exemple). Ce livre raconte bien plus que ça. Plus encore que le rapport à l’alcool dont il tire son nom, le livre raconte surtout l’état d’errance d’un homme qui n’arrive pas à gérer ses émotions. D’un homme submergé par des choses fortes qui n’a pas d’espace dédié pour les laisser sortir. Pire encore, et c’est d’autant plus triste : des gens à l’écoute, il y en avait, mais il n’a pas osé se livrer par fierté et par orgueil. De là à critiquer les méfaits d’une masculinité infaillible, il n’y a qu’un pas ! 

Dans la postface on peut lire « Jonathan Ames parle de ce livre comme d’une œuvre de fiction où presque tout est vrai », on va donc partir du postulat qu’il s’agit bel et bien d’un récit autobiographique. Vu l’époque et le lieu, le récit est notamment marqué par le sida et les attentats du 11 septembre 2001. Ces événements résonnent en Jonathan Ames comme ils ont résonné chez des millions de personnes. Deux traumatismes qui vont de concert avec tout un travail psychologique et d’auto-analyse.  

TOXIQUES ET RELATIONS TOXIQUES

Niveau dépendance, vous le savez, il y a autant de parcours que d’individus. Et autant de relations toxiques avec les substances. Ici, Jonathan n’est pas alcoolodépendant, malgré ses cravings à répétition. Il n’a pas de symptômes de sevrage, de crises de manque ou de maladie chronique liée à sa dépendance (quoique son syndrôme du côlon irritable pourrait être un symptôme d’un alcoolisation chronique). Seulement, sa dépendance est un refuge et un réflexe vers lesquels il se tourne quand ça va mal ou qu’il souhaite « décrocher ». Il ne boit pas un verre ou deux, non. Il va toucher sa limite, puis va bien au-delà de manière systématique. C’est un peu ce que nous racontait Cœur dans ses épisodes du Plan Cam·e (notre podcast). 

Ce n’est pas spécialement l’alcool qu’il recherche que le moment de flou qui va avec. Ce qu’il trouve avec l’alcool, il peut très bien le trouver ailleurs. On le voit prendre de la cocaïne plusieurs fois avec les effets secondaires qu’on connaît : moulin à paroles, désinhibition, tachycardie, angoisses, insomnies, etc. Avec le cycle de culpabilité qui se traduit chez lui par l’usage intensif des bains turcs entre deux sessions de défonce. 

Au début des années 2000, pour contrebalancer les effets désagréables de la descente de cocaïne, une dame lui fait goûter l’héroïne. Une corde de plus à son arc qui finit sa transformation en polyconsommateur. 

Puisque le récit déroule plus de trente ans de vie, le personnage avance dans sa compréhension de la vie. Qu’il s’agisse de ses propres problématiques ou de ses relations avec les autres. Ainsi, le dénouement de l’histoire de Sal est un crèvecœur et celle de Jonathan laisse quand même place à un peu d’espoir.

Alcoolique est un roman graphique de Jonathan Ames illustré par Dean Haspiel et publié en 2015 en France aux éditions Monsieur Toussaint Louverture. C’est un bel objet richement illustré et mettant en scène une histoire très touchante qui développe les thèmes de la virginité, de la performance virile, de l’amitié entre hommes, du suivi thérapeutique, de l’importance du lien à l’autre, du chagrin d’amour, de la dépendance affective, du deuil, du VIH, de l’homophobie intériorisée, de l’échec et de la réussite. À mettre en toutes les mains. 

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