
Chaque année, le rapport de l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT ou European Monitoring Centre for Drugs and Drug Addiction, EMCDDA en anglais – devenu l’Agence européenne sur les drogues, EUDA en juillet dernier) dresse un état des lieux des tendances observées dans les différents pays de l’Union européenne. Petite revue des principaux produits recensés.
CANNABIS
Avec environ 8 % des adultes européens (22,8 millions âgés de 15 à 64 ans) ayant consommé ce produit au cours de l’année écoulée, le cannabis reste de loin la drogue illicite la plus consommée en Europe.
En France, la prévalence était de 19,2 % chez les 15-34 ans en 2021.
Environ 1,3 % des adultes de l’Union européenne (3,7 millions de personnes) en consomment quotidiennement ou presque.
En 2021, pour 95 % des personnes ayant consommé au cours des douze derniers mois, il s’agissait d’herbe de cannabis, de résine pour 32 %, de produits comestibles pour 25 % et d’extraits pour 17 % (un même consommateur pouvant utiliser différents produits ou formes de produit).
En 2022, la teneur moyenne en THC de la résine de cannabis était de 24,8 %, plus du double de celle de l’herbe (10,1 %). Alors que la teneur moyenne en THC de l’herbe est maintenue globalement stable au cours des dix dernières années, celle de la résine a doublé au cours de cette période et continue d’augmenter.
Pour l’EMCDDA, « la disponibilité d’extraits et de produits comestibles très puissants » est en outre « particulièrement préoccupante », car elle a été associée à des hospitalisations d’urgence pour intoxications aiguës. Certains produits vendus sous le nom de cannabis pourraient « être frelatés avec de puissants cannabinoïdes synthétiques », alerte l’Observatoire.
Selon les données disponibles, 92 000 personnes ont suivi un traitement pour des problèmes liés à la consommation de cannabis (36 % de toutes les demandes de traitement) en 2022, dont environ 58 000 pour la première fois. « Le cannabis était la principale drogue problématique la plus fréquemment citée par les nouveaux clients en traitement. »
COCAÏNE
Après le cannabis, la cocaïne (dont la disponibilité augmente depuis plusieurs années) est la deuxième drogue illicite la plus consommée en Europe, avec des coûts sanitaires et sociaux qui « augmentent considérablement ».
Bien que la prévalence et les modes de consommation diffèrent considérablement d’un pays à l’autre, près de 2,5 millions de personnes âgées de 15 à 34 ans (2,5 % de cette tranche d’âge) ont consommé de la cocaïne au cours de l’année écoulée. En France, la prévalence était de 3,2 % chez les 15-34 ans en 2017.
La cocaïne est généralement disponible sous deux formes en Europe : la poudre de cocaïne (sous forme de sel), la plus courante, et le crack (sous forme de free-base fumable).
La consommation chronique de cocaïne est associée à un risque accru de maladie coronarienne, de cardiomyopathie et d’accident vasculaire cérébral. La consommation concomitante d’alcool augmente encore les risques pour la santé.
Soulignant le « défi » que constitue le traitement des consommateurs, « qu’il s’agisse de clients plus intégrés socialement » à la consommation occasionnelle ou épisodique, « ou de groupes plus marginalisés qui s’injectent cette drogue ou fument du crack », le rapport 2023 indique que la cocaïne est « la deuxième drogue problématique la plus courante parmi les personnes qui entament un traitement spécialisé pour toxicomanie pour la première fois de leur vie ».
On apprend également qu’au vu des dernières données européennes, treize années s’écoulent en moyenne entre la première consommation (à 22 ans en moyenne) et le premier traitement (à 35 ans en moyenne).
Enfin, les données 2022 des salles de consommation de Lisbonne, Porto (Portugal) et Paris montrent que le crack seul ou avec de l’héroïne constitue une part importante des consommations sur place.
Aucune consommation de crack n’a en revanche été signalée dans les salles de Barcelone, Athènes ou Bergen.
STIMULANTS
Si la consommation d’amphétamines a toujours été la plus courante, « la disponibilité et l’utilisation de méthamphétamines et de cathinones synthétiques étant plus limités dans la plupart des pays », « certains signes indiquent cependant que les schémas de disponibilité et d’utilisation des stimulants synthétiques se diversifient ». Ce que le rapport explique notamment par le fait « que les consommateurs peuvent considérer différents stimulants comme fonctionnellement similaires et être disposés à essayer de nouveaux produits en fonction de leur disponibilité sur le marché ».
Selon les données recueillies dans 24 pays de l’UE entre 2017 et 2023, 1,5 million de jeunes adultes (15 à 34 ans) ont consommé des amphétamines au cours de l’année écoulée (1,5 % de cette tranche d’âge), une tendance stable depuis 2020 dans 10 d’entre eux, en augmentation dans 2.
4 % des personnes exposées dans une enquête européenne menée via Internet en 2021 ont par ailleurs déclaré avoir consommé des cathinones synthétiques au cours des douze derniers mois.
Une tendance qui inquiète face aux menaces accumulées pour la santé et aux problèmes sociaux qui pourraient y être associés : « L’utilisation plus répandue des cathinones synthétiques, par exemple, est un développement relativement nouveau, et nous manquons actuellement de bases factuelles solides pour comprendre les risques potentiels pour la santé de ce phénomène ou ce qui pourrait constituer des interventions appropriées. La méthamphétamine est disponible sous des formes très pures qui peuvent être fumées, et l’utilisation de cette drogue par ce mode d’administration pose des problèmes de santé particuliers. Toutes ces substances peuvent également être disponibles sous forme de poudres ou de pilules d’analogue, ce qui signifie que les consommateurs ne peuvent pas savoir quel stimulant ou quel mélange de substances ils consomment. »
Notamment en raison d’une consommation plus fréquente ou du partage de matériel d’injection, les stimulants peuvent également être associés à des risques de surdoses, des problèmes de santé mentale aigus et chroniques, des maladies infectieuses ou des comportements sexuels à risque (le « chemsex »). L’injection de stimulants est ainsi associée à un risque plus élevé de transmission du VIH.
Soulignant que « les outils d’information actuels ne sont généralement pas suffisamment développés pour suivre les tendances de consommation ou les problèmes associés à l’évolution des modes de consommation de stimulants synthétiques », le rapport fixe donc comme priorité d’« améliorer notre capacité à surveiller et à réagir plus rapidement à l’évolution de l’usage des drogues synthétiques en général ».
MDMA
Si la consommation de MDMA avait semblé diminuer temporairement au cours des premières phases de la pandémie de Covid, près des deux tiers des villes européennes ayant effectué une analyse des eaux usées ont constaté une augmentation des résidus de MDMA entre 2022 et 2023.
Selon différentes enquêtes menées dans 26 pays de l’UE entre 2015 et 2023, 2,2 millions de jeunes adultes (15-34 ans) ont consommé de la MDMA au cours de l’année écoulée (soit 2,2 % de cette tranche d’âge), dont 2,3 % (1,1 million) des 15-24 ans.
À l’exception de détections occasionnelles de cathinones, « les produits MDMA sont généralement moins sujets à la falsification que les autres drogues illicites ». Échelonné de 140 à 157 mg de MDMA (161-173 mg en 2021), la teneur moyenne des comprimés a continué de baisser en 2022 mais « la concentration globale des comprimés disponibles sur le marché de détail reste élevée par rapport aux normes historiques ». La pureté moyenne des poudres saisies varie, pour sa part, de 46 % à 100 % (42 % à 100 % en 2021).
HEROÏNE
Responsable « d’une part importante du fardeau sanitaire attribué à la consommation de drogues illicites », l’héroïne reste l’opioïde illicite le plus couramment consommé en Europe.
Environ 0,3 % de la population adulte de l’Union européenne, soit environ 860 000 personnes, consommerait des opioïdes en 2022 (contre 950 000 en 2021). Cette « diminution apparente » s’explique essentiellement par un changement de méthode statistique pour estimer la population consommant de l’héroïne en Italie.
Selon le rapport, la cohorte européenne des consommateurs d’héroïne entamant un traitement vieillit, avec des besoins de plus en plus complexes en matière de santé et de soutien social. En moyenne, quatorze ans s’écoulent entre la première consommation d’héroïne, généralement à 23 ans, et la première demande de traitement, à 37 ans.
Par ailleurs, la consommation d’héroïne par injection, chez les personnes traitées pour la première fois ou déjà en traitement, a diminué au cours de la dernière décennie.
Bien que les opioïdes de synthèse « jouent un rôle relativement limité sur le marché de la drogue en Europe », ils constituent désormais « un problème important dans certains pays » et « pourraient éventuellement jouer un rôle plus important » à l’avenir.
En 2023, ils ont été détectés dans au moins 16 États membres de l’UE, ainsi qu’en Norvège et en Turquie. « Des flambées d’empoisonnements et de surdoses impliquant des opioïdes nitazènes » ont été signalées dans cinq pays. Des nitazènes, parfois vendus pour de l’héroïne, ont également été détectés en Irlande et en France.
En 2022, l’héroïne représentait 16 % des hospitalisations pour intoxication médicamenteuse. Entre 2015 et 2022, des opioïdes ont été détectés dans environ 74 % des surdoses mortelles signalées dans l’Union européenne.
NOUVELLES SUBSTANCES PSYCHOACTIVES (NPS)
Avec « un nombre record » de 30,7 tonnes de nouvelles substances psychoactives saisies par les États membres de l’UE en 2022, le marché des NPS « se caractérise par le grand nombre de substances qui émergent, de nouvelles étant détectées chaque année ».
Fin 2023, l’EMCDDA dénombrait ainsi plus de 950 nouvelles substances psychoactives, dont 26 signalées pour la première fois au système d’alerte précoce de l’UE en 2023.
Parmi celles-ci, 9 nouveaux cannabinoïdes ont été détectés, dont 4 cannabinoïdes semi-synthétiques, représentant environ un tiers des NPS signalés pour la première fois.
Cela représente autant de risques pour les consommateurs, « d’être exposé par inadvertance à des cannabinoïdes synthétiques » pouvant être vendu « à tort comme du cannabis à des consommateurs peu méfiants ».
Ces substances « très puissantes » et ces produits frelatés « comportent des risques d’empoisonnement », souligne le rapport, qui exprime également une autre préoccupation concernant les produits comestibles (aliments, souvent sous forme de sucreries, généralement infusés avec de l’extrait de cannabis). Ces produits sont « devenus plus disponibles » depuis 2021.
Outre les risques liés à leur teneur en THC, ces produits pourraient être confondus avec des produits commerciaux légaux. Depuis 2019, explique l’EMCDDA, au moins cinq pays ont signalé des bonbons (gelées, « gummies ») contenant des cannabinoïdes de synthèse, certains cas ayant entraîné des intoxications graves. Ces mêmes cannabinoïdes ont également été détectés dans des échantillons d’autres drogues, comme en mai 2023 à Paris, où plus de 20 personnes ont été victimes d’« une flambée inhabituelle et inattendue d’intoxications non mortelles causée par de l’héroïne frelatée avec des cannabinoïdes synthétiques ».
Autre source d’inquiétude : les cathinones, qui se sont, pour leur part, « imposées comme substituts à des stimulants tels que les amphétamines dans certaines régions d’Europe ».
En 2022, de grandes quantités de 3-CMC et de 3-MMC ont été saisies, témoignant « du rôle important que jouent désormais ces drogues dans certains pays ».
Enfin, 81 nouveaux opioïdes ont été identifiés depuis 2009, dont 7 nouvelles substances notifiées en 2023 (1 en 2022, 6 en 2021). Parmi celles-ci figurent 6 nitazènes, « des opioïdes très puissants », « des centaines de fois plus puissantes » que l’héroïne dans certains cas. Au total, 16 nitazènes ont été identifiés jusqu’à présent en Europe.
AUTRES DROGUES
De nombreuses autres substances aux propriétés hallucinogènes, anesthésiques, dissociatives ou dépressives sont consommées en Europe, notamment le LSD, les champignons hallucinogènes, la kétamine, le GHB et le protoxyde d’azote. Leur consommation « est devenue plus courante » dans certains pays, sous-groupes ou contextes spécifiques.
🍄 En 2023, les prévalences nationales de consommation de LSD et de champignons hallucinogènes étaient inférieures à 1 % chez les 15-34 ans en Europe. Cependant, selon les données de l’enquête européenne sur les drogues, 20 % des personnes ayant consommé des drogues au cours des 12 derniers mois ont rapporté avoir consommé du LSD, tandis que 13 % ont consommé de la kétamine.
🫠 L’intérêt pour l’usage thérapeutique de certaines substances, en particulier les substances psychédéliques, mais aussi les drogues dissociatives comme la kétamine, s’accumule. Un nombre croissant d’études cliniques explore le potentiel de ces substances pour traiter différents troubles de santé mentale.
🦄 La kétamine représentait 9 % des nouvelles substances psychoactives saisies dans l’Union européenne en 2022. Des niveaux « généralement très faibles » de résidus de kétamine ont également été détectés dans les eaux usées municipales de 22 villes réparties dans 16 États membres de l’UE. Les concentrations les plus élevées ont été relevées dans certaines villes de Belgique, d’Allemagne, d’Espagne, de France et des Pays-Bas.
Selon le rapport, la kétamine est ainsi « peut-être devenue une drogue de choix dans certains contextes ». Elle est parfois consommée en association avec d’autres substances, telles que des stimulants. On la retrouve également dans d’autres mélanges de drogues, notamment dans des produits vendus sous le nom de « cocaïne rose » ou « tucibi » ou dans des poudres et comprimés de MDMA, ce qui pourrait « rendre problématique une consommation par inadvertance ».
🎈 Communément appelé gaz hilarant, le protoxyde d’azote est associé à divers problèmes de santé, « notamment des empoisonnements, des brûlures et des lésions pulmonaires et, dans certains cas d’exposition prolongée, une neurotoxicité due à une carence en vitamine B12. ». Ces risques ont poussé plusieurs pays de l’UE, dont le Danemark, la France, la Lituanie, les Pays-Bas et le Portugal, à limiter sa disponibilité ces dernières années.
Concernant les risques sanitaires, le rapport indique que le GHB/GBL (acide gamma-hydroxybutyrique/gamma-butyrolactone) était le quatrième produit « le plus couramment signalé par les hôpitaux en 2022 ».
La même année, la kétamine se situait à la huitième place des substances impliquées dans des hospitalisations. La moitié des cas concernaient des personnes âgées de 25 à 45 ans, majoritairement des hommes, ayant également consommé de l’alcool.
Enfin, si la cocaïne était la substance la plus consommée en association avec la kétamine dans les cas d’hospitalisation, le cannabis et les stimulants, notamment les amphétamines et la MDMA, étaient également fréquemment impliqués dans les intoxications aiguës liées à la kétamine. Cela « indiquant potentiellement une diversité de modes de consommation et une possible consommation par inadvertance ».