Chaque année, le rapport de l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT ou European Monitoring Centre for Drugs and Drug Addiction, EMCDDA en anglais – devenu l’Agence européenne sur les drogues, EUDA, en juillet dernier) dresse un état des lieux des tendances observées dans les différents pays de l’Union européenne. Petite synthèse de l’édition 2024.
Nouvelles substances, nouveaux mélanges et risques accrus
D’abord, un premier constat : « Le marché se caractérise désormais par la disponibilité généralisée d’un éventail plus large de drogues que par le passé, les substances disponibles étant souvent plus puissantes ou plus pures ou apparaissant sous de nouvelles formes, dans de nouveaux mélanges ou en nouvelles combinaisons. » Des substances « d’un nouveau genre pour lesquelles tant les connaissances des consommateurs que les connaissances scientifiques relatives aux risques sanitaires peuvent être limitées ».
Mais au-delà des substances elles-mêmes, « Les formes sous lesquelles les substances peuvent être disponibles sur le marché et, dans certains cas (celui du cannabis par exemple), leurs modes d’administration (avec l’apparition de produits comestibles et de diverses formes de technologies de vapotage) sont de plus en plus variés », avec « des inquiétudes quant à la possible hausse des risques associés à certaines substances ». Et en particulier pour les consommateurs, « un risque plus grand de problèmes de santé, dont d’éventuelles intoxications mortelles, en consommant, peut-être à leur insu, des substances plus puissantes ou d’un genre plus nouveau. »
Les ports en première ligne
Près de 70% des saisies de drogues sont réalisées dans les ports de l’Union européenne, les trafiquants recourant à des méthodes « de plus en plus sophistiquées », comme l’utilisation de conteneurs de transport intermodal. Un exemple parmi d’autres : en 2023, « l’Espagne a déclaré sa plus grande saisie de cocaïne jamais enregistrée en une seule cargaison, avec 9,5 tonnes de drogue dissimulées dans des bananes en provenance d’Équateur ».
L’Union européenne envisage donc de renforcer la détection des drogues et leurs précurseurs, notamment grâce au déploiement de matériel avancé pour scanner les conteneurs, mais aussi « d’accroître l’interopérabilité des systèmes d’information des douanes de l’UE ».
Selon l’EMCDDA, il est par ailleurs « de plus en plus à craindre que certains pays connaissent une hausse de la violence et d’autres formes de criminalité associées », plus particulièrement ceux « où l’on sait que d’importants volumes de drogues entrent ou sont produits ».
« Le recrutement et l’exploitation de mineurs par les réseaux criminels suscitent également des inquiétudes croissantes. »
Polyconsommation = danger
S’agissant des produits consommés, l’un des messages clés du rapport 2023 « est que la polyconsommation est courante chez les consommateurs de substances psychoactives », et que « ce type de consommation peut accroître les risques de graves problèmes de santé ».
Ces préoccupations ciblent particulièrement « les produits à base de cannabis frelatés avec des cannabinoïdes de synthèse », ceux vendus comme MDMA/ecstasy, « mais parfois frelatés avec des cathinones de synthèse », ou encore « l’apparition d’opioïdes de synthèse très puissants mélangés à d’autres substances ou vendus de manière abusive comme d’autres substances ».
Pour l’EMCDDA, l’une des difficultés rencontrées consiste ainsi désormais « à mieux comprendre quelles drogues sont effectivement consommées et selon quelles combinaisons », faisant de « l’amélioration de la surveillance des tendances de polyconsommation et de notre compréhension de ce qui constitue des interventions efficaces dans ce domaine » une priorité.
Ce qu’on apprend des seringues
Illustrant « à quel point les habitudes d’injection sont devenues variables et complexes », de multiples substances sont couramment détectées dans les seringues usagées collectées dans les lieux d’échange de seringues. « Un large éventail de drogues, dont les amphétamines, la cocaïne, les cathinones de synthèse, les traitements par agonistes opioïdes, d’autres médicaments et tout un panel de nouvelles substances psychoactives, sont désormais détectés dans les résidus de seringues, souvent en combinaison, ce qui accroît potentiellement le risque de surdose », alerte ainsi le rapport, qui souligne également que « l’injection de stimulants, en particulier, est devenue plus courante chez les usagers des drogues par injection ».
L’analyse de 1 849 seringues usagées dans 12 villes de 11 États membres de l’UE entre 2021 et 2022 a ainsi révélé qu’un tiers des seringues contenaient des résidus de deux drogues ou plus, « ce qui indique une polyconsommation fréquente ou une réutilisation du matériel d’injection ». « De la cocaïne a été détectée dans plus de 50% des seringues analysées à Athènes, Cologne, Dublin et Thessalonique, un mélange de cocaïne et d’héroïne étant la combinaison la plus fréquemment trouvée. »
Les analyses réalisées entre 2022 et 2023 ont, de même, confirmé la présence de stimulants, comme les amphétamines et les cathinones de synthèse dans les résidus de seringues.
Flambées locales de VIH
Un nouveau constat « préoccupant, en ce sens que l’injection de stimulants est associée à la fois à des injections plus fréquentes et à un certain nombre de flambées locales de VIH signalées en Europe au cours de ces dix dernières années », comme à Monza (Italie) en 2022.
Au cours de la dernière décennie, 7 villes européennes ont en effet signalé des épidémies localisées de VIH associées à l’injection de stimulants, principalement parmi les personnes marginalisées des scènes ouvertes.
Plus de la moitié des pays ayant communiqué des données ont ainsi observé une augmentation des nouveaux cas de VIH recensés en 2022, avec 968 nouveaux cas liés à la consommation de drogues injectables contre 662 l’année précédente (un niveau similaire à celui observé en 2019).
Pour les auteurs, il reste donc « encore beaucoup à faire pour éliminer la transmission du VIH liée aux drogues en Europe », sachant notamment que « la couverture et l’accès aux programmes gratuits d’échange de seringues restent inadaptés dans de nombreux pays de l’UE ».
La semaine prochaine, retrouvez la suite de l’analyse du rapport de l’EMCDDA.