Un montage de Maxime avec des images de Andrea CASSANI et DJVIBE STUDIO (Unsplash)
Un montage de Maxime avec des images de Andrea CASSANI et DJVIBE STUDIO (Unsplash)

GHB : Pour en finir avec la drogue du viol

Publié le 23 août 2024 par Maxime

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Cet article parle de : #depresseurs #addiction

Largement popularisée par le cinéma, la télévision et la presse d’actualité, l’idée tenace selon laquelle le Ghb serait la drogue du viol est facilement démontable. Focus sur une arnaque intellectuelle qui met en danger les consommateurs, sans apporter de solutions pour les personnes victimes de soumission chimique.  

La série « Veronica Mars », les films « Loser », « The Great Ecstasy of Robert Carmichael » et bien d’autres ont participé à mettre le GHB en pole position des suspects lors de black-out et  malaises suivis ou non d’agressions sexuelles. Cela partait d’une réalité américaine où le Rohypnol® et d’autres médicaments mélangés à l’alcool servent à commettre des viols sur les campus états-uniens, un phénomène en expansion au début des années 2000.  

Pour comprendre comment on en est arrivé là, il faut revenir à la fin des années 90s : le GHB est légal et consommé pour ses effets euphorisants par un nombre croissant de personnes. Bien sûr, la soumission chimique existe déjà (principalement avec des benzodiazépines) et, à travers le monde, quelques auteurs d’agressions sexuelles ont l’idée d’utiliser ce produit. 

Malheureusement avec le GHB, les overdoses sont rapides et potentiellement mortelles, particulièrement lorsqu’il est mélangé avec de l’alcool. Et ça ne loupe pas, aux USA, deux jeunes femmes (15 et 17 ans) décèdent après avoir été violées suite à la consommation de verres contenant du GHB à leur insu. Ces tragédies font évidemment beaucoup de bruit, les médias en parlent non stop et instaurent une peur panique du GHB qu’ils surnomment en France « drogue du viol », en oubliant un peu rapidement qu’ici, les benzos, et surtout l’alcool, sont beaucoup plus fréquemment utilisés à des fins d’agressions sexuelles que le GHB. Dans la foulée, la plupart des pays classent le GHB stupéfiant (aux USA, c’est le « Farias and Reid Date-Rape Drug Prohibition Act », du nom des deux victimes qui s’en chargera en 2000). 

Les choses auraient dû s’arrêter là mais on peut toujours compter sur les médias d’actualités pour reprendre à gros titres les vocables nord américains (rape date drug) ou relater des faits-divers d’outre-atlantique (la fameuse drogue du zombie ou du crocodile par exemple). Il y a peu, la panique autour des « piqûres sauvages » à remis un coup de projecteur dessus avant de disparaître du débat public aussi rapidement qu’elle était arrivée. 

Seulement voilà, le GHB en France c’est très difficile à trouver. De plus, il n’existe pas de réseaux de trafic de grande envergure de GHB (cela changera peut-être). Trafiquer de la GBL n’a pas grand intérêt tant elle est facile à trouver et jouit d’une mauvaise réputation.

Comment envisager que cette substance soit l’explication préférée des français alors qu’il existe à portée de main une panoplie sans fin de substances facilement accessibles pouvant assommer un éléphant ?  Go appliquer la loi de Brandolini et prendre quelques minutes de votre temps pour nourrir votre esprit critique sur ce sujet. 

Un poison mortel

Au sens premier du terme, une drogue peut aussi être désignée de toxique. Un toxique étant le synonyme de poison, on se permet d’utiliser cet intertitre un peu pousse-au-clic. Le GHB est donc quasiment impossible à trouver en France et ce pour une bonne raison : il existe une alternative moins surveillée et plus accessible à son usage. La GBL, un solvant industriel qui est transformé en GHB par le foie quelques minutes à peine après sa consommation par voie orale.

Les effets sont donc similaires mais les dosages bien plus compliqués :

  • une dose de 0,3 ml est suffisante pour retourner la tête d’une personne primo-consommatrice ;
  • 0,5 ml est une dose relativement dangereuse pour une personne novice ;
  • 0,7 ml peut provoquer une surdose ;
  • alors même que les consommateurs réguliers s’aventurent dans des doses allant de 1,2 ml à 1,7 ml (voire plus)

Au niveau des effets, on l’aura déjà dit de nombreuses fois mais pour avoir une idée assez rapidement, il faut imaginer les effets de l’alcool mais en 100 fois plus rapides et plus forts. Un demi-millilitre donne en quinze ou vingt minutes une ivresse comparable à celle de plusieurs bières bues rapidement. La consommation d’alcool augmente drastiquement la dangerosité des dosages indiqués ci-dessus.

Parmi les effets, on compte : une désinhibition, une sensation de chaleur, de paix et d’euphorie. Puis viennent d’éventuels nausées, vomissements, black-out, perte de lucidité, légères amnésies. Enfin, une surdose entraîne un refroidissement du corps, un ralentissement des fonctions vitales, un endormissement puis une perte de conscience. Sans surveillance adéquate, cet état peut rapidement basculer vers une dépression respiratoire, puis un arrêt des fonctions vitales, puis la mort ; tout comme l’alcool en cas de coma éthylique non surveillé

Le GHB et la GBL (qui devient donc du GHB dans le corps) stimulent les mêmes récepteurs que ceux de l’alcool (les GABA). Ainsi, le mécanisme de la dépendance est similaire pour ces substances (voir nos vidéos à ce sujet) mais il peut être plus rapide pour les G que pour l’alcool. Une consommation répétée ou régulière (ou les deux) entraînera possiblement des tremblements, sensations de mal-être et syndrome de manque. 

Le « delirium tremens », syndrome délirant et parfois mortel qui peut arriver lors du sevrage d’alcool, a d’ailleurs aussi été décrit pour le GHB. Une grosse différence entre alcool et G réside dans la durée des effets : à peine quelques heures pour le GHB, ce qui rend la vie des consommateurs dépendants extrêmement compliquée puisqu’il faut renouveler les prises très régulièrement sous peine de se retrouver en manque. Certaines personnes se réveillent ainsi en manque en pleine nuit pour se faire une pipette et retrouver le sommeil.

Dans certaines communautés d’usagers et usagères de drogues, c’est actuellement la panique. Les décès s’enchaînent, sans qu’on ne sache que faire. Ces décès sont d’ailleurs mal renseignés et recensés de sorte que le phénomène est difficilement mesurable.

Un coupable… Idéal

Le GHB étant une substance endogène (c’est-à-dire secrétée naturellement par le corps humain à petite dose) et ayant une durée de vie très courte dans le sang (environ 8 heures) et les urines (environ 12 heures), sa consommation est très compliquée à prouver. Surtout si vous vous réveillez en vrac une dizaine d’heures après vous être endormi·e et que vous mettez du temps à recomposer les morceaux de votre soirée de la veille.

C’est donc le coupable idéal : ses redoutables effets étant largement repris par la presse, il bénéficie d’un véritable adoubement médiatique. 

Cependant, la réalité des usages contredit fortement cette thèse. Quiconque a déjà été témoin d’un G-hole le sait : les effets peuvent être spectaculaires. Il ne s’agit pas simplement d’un petit black-out pendant lequel on continue à tenir debout. Avec de l’alcool, même un usager averti peut tourner de l’œil. En gros, le GHB et la GBL sont des « dépresseurs » et les mélanges de dépresseurs entre eux font exploser le risque de surdose. Le dépresseur le plus utilisé en France, c’est l’alcool, qui désinhibe et peut notamment donner envie de tester de nouvelles choses.

Tester le G alcoolisé en soirée est parmi les pires idées qui peuvent vous passer par la tête. De manière générale : les mélanges doivent être évités car ils augmentent la part de risque associés aux consommations ; au-delà de 3 molécules, les interactions sont non renseignées et imprévisibles. 

Administrer une pipette de G à une personne alcoolisée présente plus de risques de la tuer que de pouvoir l’assommer pour commettre un crime (soumission chimique) en toute discrétion. En revanche, des produits légaux, peu réglementés et facilement accessibles existent afin de commettre ce genre de crime : les médicaments. 

Les vraies drogues du viol 

L’Agence nationale de sûreté du médicament (ANSM) n’est pas formelle. Dans tous ses rapports édités à ce sujet, l’alcool ne figure pas dans les substances utilisées pour la soumission chimique mais c’est le principal suspect en ce qui concerne le mode d’administration. C’est la première substance à être mentionnée pour parler de la vulnérabilité chimique.

Pour rappel, la soumission chimique telle que définie par le réseau français d’addictovigilance, c’est  : « une variante de la SC (soumission chimique, ndlr) qui désigne l’état de fragilité d’une personne induit par la consommation volontaire de substances psychoactives la rendant plus vulnérable à un acte délictuel ou criminel. »

Seulement, il y a un biais de taille : il faut qu’une tentative d’agression ou une agression soit documentée par un dépôt de plainte ou un témoignage lors de l’arrivée à l’hôpital pour entrer dans ce rapport. Ce qui signifie que toutes les personnes qui suspectent une tentative de soumission chimique et qui ont la chance d’avoir pu rentrer se mettre à l’abri avant d’être agressées n’apparaissent pas dans les chiffres. 

Il s’agit donc de chiffres qui sont à prendre avec des pincettes, tant il est difficile d’imaginer comptabiliser correctement un problème de société aux si multiples visages. Plonger quelqu’un dans l’inconscience totale ou augmenter discrètement ses dosages afin que la désinhibition permette un contact plus rapproché et plus intime sont les deux faces d’une même pièce : la soumission chimique est protéiforme et c’est une notion qui s’accompagne toujours d’une autre : la vulnérabilité chimique. Un autre exemple concernant la vulnérabilité chimique ; imaginez simplement que « profiter » de l’état d’ivresse avancée d’une personne, sans avoir de rôle actif sur ces consommations en est une des manifestations. Pour aller un peu plus loin imaginons maintenant qu’une personne bien éméchée soit récupérée par une de ces connaissances qui propose de la ramener chez elle en toute sécurité… La face immergé de l’iceberg est immense et cela corrobore les statistiques qui disent que les agresseurs sont dans 9 cas sur 10 connus des victimes.

Dans le dernier bilan publié en 2023 (sur les chiffres de 2021) les produits impliqués dans les cas de soumission chimiques vraisemblables (88 cas retenus sur 727 signalements) étaient répartis de manière surprenante. 

  • Dans 9% des cas la substances utilisée était des médicaments opioïdes,
  • dans 19% des cas il s’agissait d’antihistaminique et autre sédatifs,
  • dans 28% des cas on avait utilisé des benzodiazépines ou molécules similaires
  • dans 44% des cas il était fait usage de substances non médicamenteuses (SNM) comprenez : des drogues illégales.

Dans cette catégorie la substance la plus utilisée était la MDMA (38% des cas dans lequel était utilisé des SNM ou encore 18% du total) puis l’alcool et le cannabis, puis la cocaïne puis le Ghb/gbl. La présence de la Mdma en tête de liste est une nouveauté de ce dernier rapport mais elle s’explique sans mal en prenant en compte les propriétés entactogènes de cette molécule (qui provoque facilement des blackout quand on la mélange avec de l’alcool avec bien moins de risques pour la vie de la victime). On peut aussi rajouter qu’il est bien plus simple de mentir sur les dosages d’une drogue qu’on prend volontairement avec des collègues que de faire prendre quelque-chose en scred a quelqu’un de suspicieux et d’inconnus.

Cela veut dire que le « Mythe » du Ghb/gbl n’est pas qu’un chiffon rouge agité pour effrayer la plèbe, mais qu’il n’est pas non plus une explication applicable à toutes les situations. D’ailleurs, si 44% des soumissions chimiques recensées sont perpétrées à l’aide de drogues illégales cela veut dire que 56% sont commise à l’aide de médicaments. A peu près tous les médicaments sont rigoureusement déconseillés avec l’alcool, la plupart provoquent de la somnolence lorsqu’ils sont mélangés. Zéro surprise. 

Balance ton safe-space

Les viols commis sur des personnes en situation de vulnérabilité chimique ou en état de soumission chimique sont des crimes qui devraient être dûment punis. Hélas, faute de preuves, les plaintes sont souvent classées sans suites (ce qui ne veut pas dire que l’inculpé est innocent, mais seulement que l’affaire ne peut pas être jugée, retirant de facto le statut symbolique de victime à la personne qui devra peut-être passer sa vie à gérer les conséquences de l’agression sur sa santé).

  • Peut t-on dire qu’il y a plus de risque à se faire violer si on fait un g-hole dans un soirée cul ou dans une partouze entourées de personnes mal éduquées au consentement ? Possible.
  • Y a-t-il plus de risque à se faire droguer à son insu dans les lieux publics nocturnes ou festifs d’un monde hétéronormé qui considère le corps de la femme comme un trophée, un appât ou un prix ? C’est envisageable.
  • Y a-t-il des gens actuellement en perdition dans leurs consommations de G qui n’osent pas en parler ouvertement ou s’adresser à des professionnels parce qu’ils ont peur que le stigmate du produit associé aux violeurs ne leur fasse du tort ? Certainement.
  • Est-ce que les sombres m*rdes qui commettent ou prévoient de commettre ces horreurs sont bien contents que la panique morale crée un ramdam pendant lequel il peuvent continuer à plomber les verres de leurs victimes malgré des capotes de verre inefficaces ? Assurément.
  • Est-ce que les capotes de verre protègent efficacement des agressions dans un monde où l’agresseur est dans 90% des cas un proche de la victime (ami ou membre de la famille) dont on ne se doutera pas des intentions avant d’être devant le fait accompli ? Non : bien sûr.
  • Est-ce que les tests anti drogues sont une arme efficace pour éviter les boissons piégées alors que dans la majorité des cas les marchands annoncent qu’ils ne réagissent qu’au GHB alors que, ce sont des substances médicamenteuses ou simplement de l’alcool qui sont utilisés pour pratiquer la soumission chimique ? Pas certain du tout.
  • Est-ce que ces mêmes dispositifs antidrogue permettent de gagner de l’argent et de se faire valoir une belle image en surfant sur les angoisses et les peurs ? Sans aucun doute possible.

On vous laisse réfléchir à ces questions. Pour conclure, on vous invite à prendre des pincettes lorsqu’un phénomène a un énorme retentissement médiatique. Renseignez-vous et croisez les sources, essayez de lire des documents scientifiques et des témoignages d’usagers.

Si vous pensez avoir été drogué à votre insu et avoir été agressé·e sexuellement, vous pouvez sans attendre vous rendre aux urgences pour prendre un TPE (traitement post-exposition, visant à éviter de contracter le VIH après un rapport à risque) et faire des prélèvements. Dans le doute, gardez au frais votre premier pipi du matin dans un contenant fermé afin de pouvoir procéder à d’éventuels tests urinaires.

Si vous n’êtes pas concerné·es par le GHB, la GBL, les violences sexuelles et sexistes, et que vous n’êtes pas renseigné·es : gardez votre avis pour vous. Merci.

Merci à Vincent BENSO de Techno+ pour sa relecture attentive et ses ajouts pertinents.

 

Pour savoir comment (ou comment ne pas) réagir face à un G-Hole tu peux retrouver Vinnie :

Pour en savoir plus sur le mécanisme de la dépendance a l’alcool (et au G donc) tu peux retrouver le Dr Morel :

Pour appréhender la notion de Safe Space tu peux retrouver Rachel dans cette vidéo :

Pour approfondir la notion de soumission chimique tu peux retrouver Maxime ici :

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