La légalisation du cannabis aux USA s’applique de manière diverse et protéiforme selon les États, avec des effets complexes et parfois contradictoires. Il n’y a pas UN mais DES modèles de légalisation, reposant sur des choix politiques et économiques, parfois au détriment des enjeux de santé publique. Le premier bilan des effets de ces politiques est contrasté et pose la question du « comment légaliser ? » plutôt que « faut-il légaliser ? ».
À l’automne 2022, 19 des 50 États fédérés, plus le district de Columbia, ont légalisé le cannabis non médical (dit « récréatif ») selon des modalités différentes et autorisé un marché « régulé » du cannabis, où la production et la vente sont confiées à des opérateurs privés. Une trentaine d’États autorisent aujourd’hui l’usage médical. Néanmoins, à l’échelle fédérale, l’usage, la possession et la vente de cannabis restent totalement prohibés.
Les schémas de régulation reposent tous sur des acteurs privés, avec pour objectifs de sécuriser les conditions de production, de vente et d’achat, limiter l’accessibilité au produit (notamment pour les plus jeunes) et garantir les recettes fiscales de l’État. Tous les États qui autorisent désormais le cannabis à des fins récréatives autorisaient déjà le cannabis à des fins médicales. Un des enjeux de cette légalisation était donc de mieux séparer ces deux marchés, afin que l’État puisse en conserver le contrôle, notamment via des restrictions d’accessibilité (âge minimum, quantité limitée, etc.), des périmètres de consommation et de vente (pas de consommation en public), et des voies d’approvisionnement autorisées. Les règles de production et distribution restent cependant disparates, pour autant, ce n’est jamais le département de la santé publique qui pilote le dispositif de régulation.
Nombreuses interrogations pour la santé publique
Quel premier bilan pouvons-nous dresser de ces politiques ?
Les effets les plus prononcés concernent l’essor industriel de la filière du cannabis, qui a été rapide et massif, générant souvent des préoccupations de santé publique.
Le chiffre d’affaires important du secteur a rapporté des recettes fiscales élevées dès le départ, avec une logique de marché qui a démultiplié l’offre, aujourd’hui abondante et diverse. Cette extension de l’offre a eu pour conséquence de restructurer la demande et de modifier les tendances de consommation. En effet, de plus en plus d’usagers se tournent vers des alternatives à l’inhalation, via les concentrates (huile, cire, cristaux, edibles, etc.) fortement concentrés en THC, ce qui peut représenter un risque augmenté de surdose et d’effets indésirables. L’industrialisation, avec un accroissement de l’accessibilité couplé au contournement des limites en termes de marketing, a fait chuter le prix au détail des produits. On assiste alors à une véritable libéralisation du THC, ce qui soulève de nombreuses interrogations concernant l’impact du phénomène sur la santé publique.
Les dynamiques des consommations sont globalement en hausse depuis la légalisation du cannabis non médical, particulièrement chez les adultes de plus de 26 ans. On observe cependant une baisse significative des consommations chez les mineurs et les plus jeunes (12-17 ans). L’augmentation du taux de THC et le manque d’information sur les nouveaux produits (notamment alimentaires) pourraient également expliquer les pics d’hospitalisation pour intoxication aiguë au cannabis observés dans plusieurs États. Certains observateurs soulignent ici une limite du modèle libéral adopté par les États : les logiques de marché qui poussent à la consommation entrent souvent en contradiction directe avec la préservation de la santé publique.
Attendre encore plusieurs années
Concernant l’impact de ces politiques sur le marché noir, on observe une persistance des activités criminelles liées au commerce du produit, malgré une baisse relative des recettes générées. Le marché noir vise des consommateurs plus pauvres ou plus jeunes (les moins de 21 ans) ou les habitants d’États dans lesquels l’interdit fédéral persiste. Certains groupes se sont adaptés et développent également d’autres trafics (opiacés, amphétamines, cocaïne, etc.) pour compenser l’assèchement partiel de leurs débouchés.
Aujourd’hui, les effets de la légalisation demeurent complexes et il faudra certainement attendre encore plusieurs années pour les mesurer précisément. Précisons d’emblée que les échecs comme les succès rencontrés ne sont propres qu’à un modèle déterminé, tributaire de choix politiques bien spécifiques. L’enjeu serait alors de réfléchir collectivement à des modèles de régulation qui placeraient la santé des usagers au cœur des préoccupations politiques !
Liens pour aller plus loin :
La légalisation du cannabisaux États-Unis – Modèles de régulation et premier bilan
Légalisation du cannabis non médical au Colorado : dix ans après